Fin de partie chez Valentin. Au cÅ“ur de l’exposition, un manège qui supporte des canapés usés tournoie dans le vide. A ses côtés, des objets ou des corps inertes accrochés au mur évoquent le triste univers d’un monde crépusculaire. On a fermé le banc, ne résonne dans la salle que l’air forcément rendu suranné des Quatre saisons de Vivaldi.
Toute la salle vit dans cette torpeur uniquement trompée par quelques apparitions brillantes, quelques signes d’une activité qui a eu lieu.
On parle ici au passé. La mise en scène explore l’idée d’une nostalgie éculée, construite sur le souvenir sépia d’une époque où tout allait mieux. Bien entendu, celle-ci n’est qu’un leurre que Pierre Ardouvin entretient soigneusement.
A l’image d’une grande partie de ses travaux qui sait capter, avec une étonnante acuité, le récit d’un monde qui vient de s’achever, précisément celui qui occupe et déforme nos mémoires.
Pierre Ardouvin suspend ses narrations sur le fil de ce mirage et en profite pour condenser les images, bricoler des rapprochements, des scènes improbables où s’entrechoquent les accessoires autant que les impressions.
Faire tourner dans le carrousel des canapés au design dépassés, c’est réactiver les territoires perdus de l’enfance, c’est basculer dans une fantasmagorie construite sur la simplicité du quotidien. Retour au confort moelleux, retour au marketing désuet de la foire, à la nostalgie d’une supposée croissance économique sans accroc. Retour également sur son propre rôle de spectateur. Car, en effet, n’y a t-il pas là à envisager ces canapés en oblique? Postés devant, c’est nous-mêmes que nous observons, comme s’ils nous poussaient à interroger notre position de regardeur-regardé, et à envisager la dissolution des différences, c’est-à -dire à accepter de jouer simultanément les deux rôles?
Tout le propos de Pierre Ardouvin tient dans cette articulation théorique qui place le spectateur en observateur de sa propre expérience. Le voici donc qui traverse cet espace érodé, balisé ici et là par un soleil blanc hivernal (reconstitué par un plafonnier fiché dans une porte peinte en gris), un ciel d’étoiles (réalisé avec des piercings brillants piqués dans le liège d’un tableau d’affichage), un déguisement de mort accroché au porte-manteau comme on pendrait un vêtement, les cartes postales des quatre saisons recouvertes de violentes tâches rouges ou, presqu’en contrepoint de cette démonstration mortifère, d’autres cartes postales cette fois-ci réhaussées par des aquarelles virevoltantes…
Voilà planté le décor d’un quotidien fané, puisant comme il peut dans ce qui reste d’un «avant». Les installations de Pierre Ardouvin bruissent de ces compositions improbables, de ces conflits d’objets qui nous ressemblent ou qui nous ont ressemblés. Les objets nous racontent, parait-il. Avec Pierre Ardouvin, ils brossent certainement le portrait de nos secrètes «mythologies individuelles».
Liste des Å“uvres
— Pierre Ardouvin, Soleil d’hiver, 2010. Porte peinte en grise, globe lumineux. 203 x 93 x 20 cm
— Pierre Ardouvin, Sans titre 1, 2010; Collage. 21 x 30 cm
— Pierre Ardouvin, Sans titre 2, 2010. Collage. 21 x 30 cm
— Pierre Ardouvin, Les quatre saisons, 2010; Plateau tournant, canapès, guirlandes de fanions multicolores, musique « Les quatre saisons » de Vivaldi; 235 x 386 cm
— Pierre Ardouvin, Le déguisement, 2010. Costume de déguisement de mort avec masque souple, paterne. 160 x 23 cm
— Pierre Ardouvin, Sans titre 9, 2010. Collage. 21 x 30 cm
— Pierre Ardouvin, Administrass 1, 2010. Strass piercings sur tableau d’affichage en liège, cadre aluminium. 120 x 90 cm
— Pierre Ardouvin, Les quatre saisons, 2010. Photographie contrecollé sur aluminium. 63 x 88,5 cm
— Pierre Ardouvin, Sans titre 9, 2010. Collage. 21 x 30 cm