Raphaël Zarka
Les Prismatiques
Déjà présente dans plusieurs œuvres qu’a réalisées Raphaël Zarka ces dernières années, la forme autour de laquelle s’articule l’exposition — un prisme dont la base s’apparente à un triangle rectangle tronqué — est directement reprise d’un petit objet en bois, la clef de châssis, utilisé par les peintres au dos de leurs toiles pour en ajuster la tension. Elle est ici abordée comme un module à partir duquel se déploie, sur le mode la permutation, une série de sculptures et de dessins.
Les modules qui composent les trois sculptures que rassemble l’exposition ont été taillés dans des billes de chêne de taille identique, en opérant chaque fois, selon le même modèle, un unique trait de coupe. Pour chacune des œuvres, 12 ou 16 éléments agencés de différentes manières se combinent pour former une configuration spécifique, comme dans un jeu de construction. On pense notamment au «Tangram», ce puzzle ancestral chinois dans lequel de petites pièces géométriques sont juxtaposées pour créer des formes figuratives. Comme dans une série précédente utilisant le même type de pièce de bois, Les Billes de Sharp (2008), se décline également dans les «Prismatiques», un jeu entre la régularité des traits de coupe et l’aléatoire des lignes structurelles du bois.
Le groupe de dessins à l’encre qui accompagne les sculptures semble avoir ce double statut contradictoire de les préfigurer et de les prolonger, à la fois dessins préparatoires et développement logique de la série. Ils montrent d’autres configurations possibles à partir de la même forme de la clef de châssis et existent comme autant de sculptures potentielles, suggérant que ce qui nous est donné à voir dans l’exposition, n’est qu’un fragment d’une suite de permutations beaucoup plus vaste. Réalisés en utilisant un type de perspective et des couleurs qui peuvent rappeler celles des Primitifs italiens, ils semblent renouer avec la conception ancienne du dessin comme «designo»: dessin autant que dessein, renvoyant autant à l’esquisse qu’à l’idée avant sa matérialisation.
Le troisième composant de l’exposition, une série d’images noir et blanc extraites d’une collection que Raphaël Zarka développe depuis quelques années, pourrait être abordé comme une variation à rebours, au sein d’un champ de références issues de contextes variés, développée à partir des «Prismatiques». Ce qui réunit ici la Nécropole des Grotticelli, l’autel qu’installa Goethe à Weimar pour son amie Charlotte von Stein, les «stellations» de Max Bruckner ou le portrait d’Abraham Sharp, c’est la présence dans chacune des images de combinaisons de formes géométriques. Présentées en contrepoint aux «Prismatiques», ces constructions éclairent différents aspects des sculptures et des dessins: les questions du prisme, du module, de la série, de la permutation, du socle, etc. Elles témoignent également de la manière dont les formes géométriques constituent pour Raphaël Zarka, les manifestations visibles d’un réseau de liens souterrains traversant les espaces et les époques.
Christophe Gallois
critique
Les Prismatiques