— Éditeur(s) : La Documentation française, Paris
— Collection : Retour aux textes
— Année : 2002
— Format : 24 x 16 cm
— Illustrations : aucune
— Page(s) : 637
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-11-004572-8
— Prix : 50 €
Introduction
par Philippe Poirrier
À l’échelle internationale, le modèle français de la gestion publique de la culture est considéré comme une référence. Qu’on le refuse ou l’imite, qu’il irrite ou séduise, ce rapport public à la culture est assurément l’un des traits qui fonde l’« exception française ». Pourtant, depuis quelques années, la politique culturelle est l’objet en France même d’un vif débat, et sa « refondation » s’affiche sur l’agenda gouvernemental. Surtout, les modifications à l’œuvre — notamment dans le vaste champ des industries culturelles — à l’échelle européenne et mondiale semblent fragiliser, voire remettre radicalement en cause, la philosophie et les moyens d’action d’une politique culturelle publique.
Conformément à l’esprit de la collection « Retour aux textes », le corpus mis à la disposition du lecteur repose sur un choix de textes dont la nature relève de plusieurs catégories : des textes législatifs et réglementaires, des discours et écrits de responsables de l’action publique, des rapports administratifs. Le texte législatif est principalement perçu comme le reflet, à chaque époque et moment, des rapports de force et des sensibilités. Il informe, et contribue à produire, les principales évolutions administratives. Nous avons choisi de publier les lois qui nous semblaient les plus significatives quant au sens des politiques culturelles. En parallèle, les prises de position des responsables politiques — des présidents de la République aux ministres de la Culture — clarifient ces textes de loi. Elles témoignent, par-delà les continuités administratives et institutionnelles, du volontarisme politique, et permettent de saisir ce qui motive et légitime l’intervention publique. D’autres approches (rapports, exposés, conférences) complètent une perspective qui, conformément à l’esprit de la collection, souligne la continuité des politiques culturelles. L’évolution des politiques culturelles peut se lire également à travers les nombreuses, et récurrentes, polémiques qui secouent l’espace public à ce sujet [nous nous permettons de renvoyer le lecteur à une anthologie qui relève de cette logique-là : Geneviève Gentil et Philippe Poirrier, « La politique culturelle en débat. Quelques références » dans E. de Waresquiel (Dir.), Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2001, p. 627-647].
Au total, c’est une approche résolument historienne que nous avons souhaité privilégier. Par-delà la nature des textes proposés, il s’agit avant tout de faire comprendre les ruptures et continuités qui affectent la politique publique de la culture. C’est l’analyse de « la volonté politique » qui a guidé nos choix, et non la seule construction progressive d’un « service public culturel » [voir la mise au point : Culture et service public, Actualité Juridique Droit Administratif, 20 septembre 2000, 160 p.].
Le champ chronologique
Cet ouvrage a choisi une présentation chronologique des textes fondamentaux des politiques culturelles. L’index permet cependant une lecture transversale, au gré des politiques sectorielles — du patrimoine au spectacle vivant —, même si la mise en évidence de ces dernières n’a pas été notre objectif premier. Il s’agit, avant tout, de comprendre les fondements et la cohérence des politiques publiques de la culture, telle qu’elles se déploient depuis le moment fondateur de la Révolution française. Cependant, l’essentiel du corpus concerne la période ouverte par la création, en 1959, d’un ministère des Affaires culturelles, confié à André Malraux.
Une première partie, qui couvre une longue période de 1789 à 1958, signale combien le ministère des Affaires culturelles  » invente  » une politique publique qui peut déjà s’appuyer sur un large corpus théorique et législatif, et sur des institutions prestigieuses, souvent nées à l’aube du XIXe siècle. À ce titre, la décennie révolutionnaire offre un condensé des principaux enjeux : une politique impulsée par l’État au service de la régénération de la société, l’invention du « patrimoine national », la question de la liberté de la création.
À l’aval, nous avons choisi de rendre compte des évolutions en cours jusqu’à la mise sous presse de ce volume. Nous assumons ce choix même si la sélection des textes s’avère plus délicate. Aussi, le lecteur peut lire plusieurs textes — lois et discours — qui témoignent de l’actualité la plus récente. Soulignons que la fin de la législature a vu aboutir toute une série de textes législatifs qui sont le résultat d’une réflexion quelquefois ancienne, et qui étaient attendus par les acteurs des mondes de l’art et de la culture.
Une politique étatique
Ce volume s’articule essentiellement autour de la politique culturelle de l’État, impulsée dans le cadre d’un ministère spécifique. Nous n’ignorons pas que d’autres structures ministérielles — du ministère de l’Éducation nationale au ministère des Affaires étrangères — contribuent aussi à l’intervention de l’État dans les domaines artistiques et culturels. Un seul volume n’aurait sans doute pas suffi à rendre compte de cette pluralité d’interventions. Il n’en reste pas moins vrai que le ministère de la Culture joue un rôle essentiel et structurant dans la conception et la mise en œuvre de la politique publique de la culture. Pour autant, l’État culturel n’a pas en France le poids que veulent lui accorder ses détracteurs. Même pendant l’embellie des années Lang (1981-1993), la forte mobilisation des collectivités locales conduit à nuancer la seule présence de l’État. Aussi, depuis quarante ans, la politique culturelle n’a-t-elle été que très rarement une véritable priorité gouvernementale. Son affirmation, loin de prendre la forme d’un État-Léviathan, relève plutôt d’un  » bricolage moderne « , et d’un ajustement, plus ou moins réussi, avec les attentes d’une société démocratique plongée dans la culture de masse [J.-P. Rioux, « L’État culturel depuis la Libération. Remarques sur un bricolage moderne », Le Débat, mai-août 1992, n° 70, p. 60-65]. L’État culturel -— la notion a été utilisée comme clef polémique par Marc Fumaroli [L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Éditions de Fallois, 1991] — est le produit d’une sédimentation historique. Cette longue et hésitante montée en puissance ne peut guère être assimilée à un encadrement totalitaire des mondes de l’art et de la culture. Le combat pour le 1 % du budget de l’État qui s’impose à partir du début des années 1970 jusqu’à faire figure vingt ans plus tard d’horizon politique traduit plutôt une faiblesse budgétaire et un bricolage administratif permanents.
De même, cet ouvrage n’a pas l’ambition de cerner le rôle, ô combien déterminant, des collectivités locales, surtout depuis la fin des années 1970. Cette question n’est cependant pas totalement ignorée, mais trouve sa place dans ce volume par l’intermédiaire de textes qui signalent la montée en puissance, puis la généralisation, des partenariats entre l’État et les collectivités locales. De plus, cette affirmation des collectivités locales n’est pas synonyme d’un retrait de l’État. Les années 1980 ont sans doute vu l’apogée d’une politique nationale, orientée par un ministère bénéficiant d’un budget renforcé et d’une légitimité accrue au sein des structures q9uvernementales. Par ailleurs, et au-delà de son rôle juridique et réglementaire, l’État a construit dans la longue durée un cadre de l’action publique culturelle qui fait référence à la fois pour les collectivités locales et les professionnels des secteurs culturels. Le contexte décentralisateur des années 1980 — plus que les rares transferts de compétences culturelles accordées par le législateur — a cependant indéniablement renforcé l’aire politique des collectivités locales. L’essentiel est ici le passage d’un État-tutélaire, fort sélectif dans ses soutiens et garant d’une vision nationale, à un État-partenaire qui encourage et institutionnalise peu à peu les formes du partenariat.
Ce volume voudrait, non pas seulement, permettre une plongée rétrospective, mais offrir une base de réflexions pour aborder les enjeux qui guettent aujourd’hui le modèle français de la politique culturelle. La mondialisation, le primat de l’économie de marché, la construction européenne sont autant de défis pour un modèle d’action publique, longtemps jacobin, fortement institutionnalisé, et fondé initialement sur la volonté de démocratiser une culture savante clairement définie. La culture ne se décrète pas, elle se construit, se vit et se réinvente dans une pluralité de pratiques sociales. La légitimité d’une politique publique de la culture n’est pas posée à jamais : elle relève d’un travail de définition permanent auquel participent les responsables politiques, les acteurs des mondes de la culture et les citoyens. Ce qui fonde, nous semble-t-il, l’originalité du modèle français, par-delà des évolutions et des inflexions considérables depuis deux siècles, c’est l’idée, largement partagée, que la politique publique de la culture participe de la construction de la République et de la démocratie.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions La Documentation française)
L’auteur
Philippe Poirrier, agrégé d’histoire, est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne. Il a notamment publié La naissance des politiques culturelles et les Rencontres d’Avignon (La Documentation française, 1997), Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles (La DF, 1999), L’État et la culture en France au XXe siècle (Le Livre de Poche, 2000). Il a codirigé Politiques locales et enjeux culturels (La DF, 1998), Affaires culturelles et territoires (La DF, 2000) et Les collectivités locales et la culture, les formes de l’institutionnalisation, XIX-XXe siècles (La DF, 2001).