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Les Poches pleines de pluie

Avec Les Poches pleines de pluie, le Norvégien rassemble autour d’une histoire de vengeance, une série de petits récits dessinés sur plus de dix ans. Le grand écart entre le potache et l’étrange.

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Les chiens que dessinent Jason ne sont pas franchement les meilleurs amis de l’homme.
«Jason?» demande l’un d’eux grimés en tueur à gage. «Oui» répond l’autre. Il n’en faut pas plus pour que la bête dégaine son revolver et exécute de sang froid sa victime. Pas de répit pour l’être humain, pas plus du point de vue canin que de celui de l’auteur.

Les histoires de Jason sont extrêmement sombres, les amours et les sentiments souvent vains. De cette mécanique mortifère, l’auteur tire pourtant des merveilles d’humour noir, des moments désarmant de poésie surréaliste.
Comme ces deux nonnes, disputant une partie de croquet dans les rues d’une ville totalement vidée de sa population. Ou cet homme en fuite qui menace ses adversaires avec tantôt une banane tantôt un sèche-cheveux et se retrouve en prison après avoir joué son destin au jeu de l’Oie.

Des strips en quatre vignettes, des planches plus élaborées, des illustrations pour couverture, Jason ne s’impose pas de formats particuliers. Il reste tout de même des constantes. Les hommes et autour d’eux souvent ses figures animalières fétiches, celles avec lesquelles ses lecteurs ont appris à le connaître. Un chien donc, un chat ou encore un oiseau. Animaux de mauvais augure? Par moment, oui, cruels et cyniques même. A d’autres, ils se montrent complices, plutôt victimes ou juste incrédules.

Ses histoires courtes permettent toutes les formes de digressions. Depuis ces pépites absurdes jusqu’aux saynètes plus délirantes illustrant la vie d’un condamné flanqué de son ami le cactus, et d’autres séquences plus arides et plus introspectives. Un grand écart que permet la sobriété de son dessin et la tonalité sèche et sans ambages de son trait.
Une ligne claire, des personnages qui se découpent sur des fonds unis ou sur des quadrillages strictement réguliers (l’architecture occupe en effet une place importante dans ses travaux): Jason évacue le dessin au profit d’une construction organisée de l’image.

Au profit également d’histoires complexes, notamment celle qui occupe la moitié de l’ouvrage et qui en porte le titre. Jason se penche sur l’histoire d’un jeune couple qui grandit sur les décombres du passé de la fille et dans la frayeur de son surgissement, entre les feux croisés de deux tueurs et d’un extraterrestre. Toujours la même candeur, le même non-sens chronique, cette fois-ci plongée dans une narration à tiroirs, débordant largement sur le terrain du western (le règlement de compte dans le désert) et de la prose surréaliste (la dispersion de chapeaux dans le ciel urbain comme un hommage discret au grand Magritte).
Ailleurs, Jason convoque plus implicitement d’autres figures: Corto Maltese, les personnages de Moebius et ceux qui garnissent les pages des Heroic Fantasy à l’Américaine. Puis de temps à autre, Ernest Hemingway pour qui Jason voue une admiration sans bornes.

Jason aime les citations et aime encore plus les faire jouer par ses personnages à tête de chien. Peut-être pour mieux porter le néant avec philosophie, pour mieux attendre, comme les rôles de Beckett, ce qui pourrait s’abattre sur leur tête. Les voilà toujours en suspension entre deux rives, surpris entre deux réalités ou deux sentiments contradictoires. C’est ce qui les rend tangent, difficile à cerner mais terriblement touchant.

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