Les musiciens sont situés face à face au centre de la scène. Autour d’eux, trois danseurs tournoient, se déplacent presque en titubant. Les mouvements et la gestuelle sont à rebours de toute grâce, rapidité et fluidité. Nous sommes dans un art du tâtonnement, de l’hésitation et de la rugosité. Tout est forcé, tendu et consciemment maladroit. Les mouvements sont désordonnés. Tout est télescopé.
Face au public, trois danseurs, gonflés d’éléments pneumatiques sous un uniforme noir, marchent sur scène comme à la recherche d’un lieu, d’un espace. Les corps ainsi couverts ne sont jamais mis à nus. Nul bras, nul avant-bras, nulle jambe ne montrent son épiderme. Ces corps, qui semblent dévêtus de leur humanité, se meuvent avec difficulté à la recherche d’un équilibre.
La dynamique du spectacle naît du contact entre les danseurs qui se touchent, s’agrippent, s’accrochent, se prennent les poignets à revers pour faire corps entre eux et trouver une stabilité dans leurs démarches. Ce qui les réunit, c’est leur corps-à -corps.
La musique occupe un rôle moteur dans le spectacle avec ses sonorités décalées et son rythme qui bouscule le spectacle. Le silence n’est pas de mise. L’espace est rempli de mouvements maladroits et saccadés, et de musique aux rythmes proches de la dissonance. Tout est rupture. Rupture des mouvements et des rythmes musicaux. Tout est biaisé par la sonorité, les déplacements, la gestuelle et l’attitude des danseurs. Nous sommes dans un espace à deux dimensions, l’une musicale et l’autre corporelle. Autant sur scène tout semble en rupture et en perpétuel déséquilibre, autant la superposition de ces deux axes crée de l’harmonie. Cette harmonie est le produit d’éléments musicaux et corporels hétérogènes, disparates et dissonants.
Ils sont trois danseurs, comme trois points perdus dans l’espace. Trois est le chiffre de la stabilité dans l’espace, pourtant ici tout est instable, et les corps semblant près de tomber ou de se rompre. L’équilibre ne réside plus dans le corps mais cherché dans les partenaires de danse, ou dans les éléments scéniques qui servent aux danseurs à se raccrocher ou à se cacher.
Le danseur devient le seul «élément» à ne pas trouver sa place sur scène où la musique, elle, prend toute sa place. Elle coordonne les danseurs qui trouvent en elle un écho et une caisse de résonnance. Le corps est doublement en décalage avec l’espace, et avec lui-même, d’où une gestuelle traînante et lourde. Quand les trois danseurs se défont de leur «uniforme», ils apparaissent soudain libérés de leur gravité corporelle. Leurs mouvements restent toutefois petits et un peu lourds, jamais fluides, presque glacés, pétrifiés dans une gestuelle qui prend appui sur des poings souvent retournés vers l’intérieur pour s’agripper entre eux.
La gestuelle est décentrée, décalée, brisée, cassée, enveloppée par une musique composée d’instruments à vent. Il y a aussi des corps à corps entre danseurs. On se touche pour mieux prendre conscience de son corps. Les corps semblent ankylosés. La gestuelle est peu précise, peu élégante et lourde. Les membres supérieurs jouent comme balanciers du tronc. Le manque de maîtrise des membres affecte la maîtrise de l’espace. La danse trouve son équilibre avec la musique. A la fin du spectacle, l’équilibre devient immobilité dans un élément scénique semblable à une pirogue de bois dans laquelle s’accroche chaque danseur. Ils se figent, le spectacle s’arrête.
Des rongeurs blancs dans une cage symbolisent l’enfermement dans un espace réduit et confiné. Un peu comme ces danseurs dans leurs pirogues qui trouvent un équilibre dans l’immobilité. A l’inverse de notre époque qui fait de la course et du stress nos mécanismes de vie.