Yuri Leiderman
Les performances de Dima Blein
Pour sa troisième exposition à la galerie Michel Rein, l’artiste russe Yuri Leiderman présente une sélection d’œuvres très diverses: des vidéos minimalistes, des objets, des ready-mades, des collages et des photographies illustrant ses performances. Malgré l’extrême variété de ces œuvres, des connections et des intersections élaborées se dessinent en filigrane. Les oeuvres de Yuri Leiderman constituent une sorte de décoration de réserve autour du concept de géopoétique. Pour l’artiste, la géopoétique consiste à s’emparer de notions empreintes d’une signification sociale lourde æ «le Nègre», «le fasciste», «l’Arabe», «le Juif» æ pour les utiliser dans des compositions ethniques «abstraites» en faisant disparaître les relations historiques et politiques qui peuvent exister entre elles, comme, par exemple, pour son objet Fusées avec 1, 2, 3, 4 hublots, 8, 7, 6, 5 Noirs regardent dans le lait.
«C’est l’idée de faire en sorte que la politique, les races, les peuples se transforment dans leur essence en objets inexistants, pareils à des petits ovales, des boîtes, des petits tas, des armoires. Et alors leur statut peut être tout à fait souple, imprévisible : disons, vraiment un personnage, vraiment un représentant du peuple, mais en fait simplement un représentant des coins près des plinthes ou un représentant des coulures de café, le Génie du chardon, le Maître du kéfir…»
Ainsi, la géopoétique de Yuri Leiderman est assez éloignée de la notion élaborée par Kenneth White et ses successeurs. Cette géopoétique ne suppose pas une existence paisible et nomade, dans l’harmonie créée entre la littérature et les sciences exactes, au contraire, elle reste prisonnière d’une relation perverse et libérée avec la géopolitique. Elle se nourrit de l’énergie générée par la conscience collective et les événements historiques et les annihile pour en faire quelque chose de « purement formel».
De mystérieux personnages tels que «Dima Blein» ou «Kolia le maronneux» et leurs actions énigmatiques apparaissent afin de transformer l’idéologie en ordonnancement inoffensif et dénué de sens, en simple équation arithmétique. Yuri Leiderman écrit, commentant la soi-disant 7ème performance de Dima Blein (probablement la seule qui existe vraiment) :
«Je pense à la 7ème performance de Dima Blein qui s’est accroupi dans des champs avec un coin d’oreiller coincé dans la raie des fesses. Je pense à de tels appâts, dispersés dans le corps de l’art contemporain, errant comme des granules dans ses artères de plastique, semblables aux bouclettes d’Hélène errant dans les artères de la guerre de Troie, semblables à l’inexpérimenté Isaac Babel errant dans les artères de la guerre civile.
C’est la même chose avec mes installations, mes schémas ; c’est une taie, un oreiller, il faut dormir dessus, il faut poser sa tête dessus, mais au lieu de cela on coince son coin dans la raie des fesses dans des champs gelés (la 7ème soi-disant, performance malgré l’absence totale des six précédentes, un canal de Suez miné, bouché).»
Et pourtant, une autre performance, la 11ème performance de Dima Blein, sera présentée pendant le vernissage de l’exposition à la galerie Michel Rein. Yuri Leiderman essaie à nouveau de recréer l’écart «géopolitique» entre la «pauvreté du Tiers-Monde» et une «technologie occidentale» galopante dans l’aura géopoétique de l’enfance et des déclarations privées. À nouveau, il procède en héritier doué de la culture russe, en situant son oeuvre dans un «entre-deux» inaccessible.