A la manière des bribes de conversations entendues lorsqu’une radio est allumée, mais que l’attention est portée sur autre chose, les œuvres de Dominique Petitgand tissent une trame lâche de contenus sonores, de récits humains jetés dans l’oreille du visiteur. A celui-ci de reconstituer une narration, ou simplement de se laisser porter par les évocations inconsciemment transmises. Ainsi l’artiste déploie-t-il entre les trois pièces de la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers des « liens invisibles », ondes sonores qui se répondent et se réfléchissent, et dans lesquels le visiteur se laisse envelopper.
La plupart du temps, on retrouve dans les « pièces sonores » de Dominique Petitgand, comme celle exposée en début d’année à la galerie gb agency (Quelqu’un par terre), le même dispositif, intitulé généralement « installation sonore pour X haut-parleurs ». C’est l’esthétique de la pièce blanche, dans laquelle doit advenir l’expérience sensorielle, définition basique de l’œuvre d’art. L’artiste donne ici toute la place au son, qui habite l’espace, et révèle au visiteur les capacités sensuelles de l’expérience sonore. Les trois salles blanches de Gennevilliers sont véritablement sculptées par les phrases d’un enfant et d’une femme, par des sons chuchotant, crissant, mais aussi par le silence, qui emplit l’espace comme l’air dans une bouteille.
Les « récits et paysages mentaux » de Dominique Petitgand, comme il les définit lui-même, saisissent des bribes de présence humaine, déconstruite et recomposée à la manière d’une image cubiste. La parole prend alors un sens supérieur ; magnifiée, elle incarne l’être humain, en constitue le témoignage essentiel, unique.
Dominique Petitgand affirme se situer « à la croisée de l’art, de la musique, de l’écriture, du montage et de la narration » : aussi les réceptions de son œuvre peuvent-elles êtres multiples, d’autant plus que l’artiste revendique la qualité « la plus nue, neutre, décontextualisée, intemporelle possible (en dehors des références identitaires, sociales, géographiques, historiques ou d’actualités en tout genre), pour que l’auditeur justement remplisse à sa façon, avec ses propres moyens (sa pensée, sa mémoire, sa propre vie), le vide, les creux, les silences, les trous de [ses] histoires ».
La présence du visiteur a donc une importance primordiale. Par ailleurs, le mode même de l’installation, et son corollaire, l’expérimentation physique de l’œuvre par le visiteur, qui arpente les pièces guidé par sa seule oreille, semble être ce qui constitue le travail de Dominique Petitgand comme œuvre d’art « visuel ». Son institutionnalisation par la galerie ou le centre d’art en est une autre manière.
Dominique Petitgand
— Les liens invisibles, 2001/2007. Installation sonore pour 7 haut-parleurs. Vue de l’exposition à l’Ecole municipale des beaux-arts / galerie Edouard Manet de Gennevilliers.