Casting d’Omer Fast est une installation vidéo double face, sur la guerre et sa représentation.
Recto, sur les deux écrans juxtaposés, mais légèrement décalés en profondeur, une curieuse reconstitution jouée d’un casting. Un acteur, devant une équipe de tournage, improvise dans le rôle d’un marine, en une succession de plans fixes, dans lesquels les protagonistes se figent, simulant des arrêts sur image. Des plans tremblés du même type imagent les récits mêlés de la voix off: un déboire amoureux à Munich, et un tir dont est coupable le marine sur un véhicule civil en Irak. Le verso en est la coulisse. Omar Fast y mène l’interrogatoire d’un marine, ou supposé tel.
L’imbrication par le montage des deux récits, qui, bien que de natures tellement différentes, empruntent le même ton et les mêmes mots, est, de ce côté, visible, révélant la formidable puissance fictionnelle de la narration, nourrie de mémoire et d’affect.
La guerre d’Akram Zaatari se bricole dans la clandestinité. Un vieux combattant fabrique un explosif rudimentaire dans un atelier de tapisserie, pendant qu’un jeune comparse reprise un uniforme. Une longue scène, ponctuée de coupures d’électricité, et de gorgées de thé. On ne sait qui passe le témoin à l’autre, ni pour quel combat. Le rite semble simplement inscrit au plus profond du quotidien, sans plus avoir besoin de mots.
À l’inverse, c’est sous un flot de paroles continues que nous tient en haleine Rabih Mroué. Dans cette vidéo performance, l’artiste-comédien revient face à la caméra sur une œuvre ancienne dans laquelle il réincarnait un combattant communiste libanais, martyr qui s’était fait exploser parmi les occupants israéliens des années 80.
Il s’agissait alors pour l’artiste d’essayer de comprendre ce geste, celui d’un homme jeune qui enregistra à trois reprises son message d’adieu devant une caméra, comme si l’image était plus importante et intimidante que le geste même qu’il allait accomplir.
Ce retour sur image est une occasion formidable de poser une multitude de questions sur ce geste inouï, tragiquement banalisé, et d’interroger le glissement depuis l’idéal d’émancipation et de liberté au nom duquel il était commis, il y a trente ans, jusqu’au fanatisme et l’obscurantisme religieux dans lequel se replie aujourd’hui la résistance.
Une performance quasi professorale qui paradoxalement révèle une insondable complexité humaine et politique.
La difficile quête d’intelligibilité est aussi au cœur de travail d’Ahlam Shibli, une artiste d’origine bédouine, qui revient dans le village familial, dont les habitants arabes se sont vus confisquer les meilleures terres arables, après qu’une grande partie d’entre eux a fui en 1948. Elle y effectue un relevé photographique d’indices témoignant de la situation ambiguë du village, entre ruine et inachèvement, expansion et endormissement, normalisation et cloisonnement, présent et oubli. Mais le territoire enchevêtré de grilles, de panneaux indicateurs en hébreu, et de broussailles, demeure peu lisible au regard extérieur.
L’exposition s’ouvrait avec un bas-relief animé de Yael Bartana, surplombant le frontispice de l’Espace 315. Gravés dans l’immatérialité de la vidéo, des images d’une manifestation, à l’évidence israélienne, pacifique, démocratique, avec pancartes, banderoles et drapeaux claquant au vent. Mais l’armée et la police veillent, emmènent de force quelque manifestante récalcitrante. Ces évocations évanescentes déroulent, implacables, le problématique rapport entre liberté et répression, démocratie et occupation, au cœur de l’ambivalence israélienne et du conflit du Proche-Orient.
À l’envers exact des images médiatiques, informées par la destruction et la mort, ces œuvres font acte de résistance à la déraison de quelque nature soit-elle. Sans heurt, sans cri, sans larme, elles empruntent des postures analytiques lucides, sur un ton monocorde et insistant, qui gronde d’une intranquillité inquiète.
Publications
— Les inquiets :Yael Bartana, Omer Fast, Rabih Mroué, Ahlam Shibli, Akram Zaatari, cinq artistes sous la pression de la guerre, Ed. Centre Pompidou, collection 315, Paris, 2008.
Yael Bartana
— Low Relief II, 2004.
Omer Fast
— The Casting, 2007. Installation vidéo.14 min.
Rabih Mroué & Elias Khoury
— Three Posters, 2003. Vidéo performance. DVD.
Ahlam Shibli
— The Valley, 2008. 32 photographies. Tirage argentique noir et blanc et couleur. 38 x 57, 7 cm.
— Refuge in Front, 2005. 3 photographies argentiques noir et blanc. 37, 8 x 57,6 cm et 57,6 x 37,8 cm.
Akram Zaatari
— Tabiaah Samitah (Nature morte), 2008. DV-cam. 11 min.