Léa Habourdin, Thibault Brunet
Les immobiles. La Carte blanche PMU 2014
Les deux lauréats de la carte blanche PMU 2014, Léa Habourdin et Thibault Brunet, témoignent de leur approche du projet:
«Bien qu’ayant toujours fait partie de notre paysage, le café PMU évoquait un monde lointain et abstrait vaguement incarné par des images éparses glanées au fil des ans: lieux enfumés où évoluent quelques spécialistes affairés, noms de chevaux sonnant comme des aphorismes abstraits, files d’attente au guichet… D’emblée il nous est apparu évident de partir de ces images mentales plus ou moins fantasmées et, loin de tout relevé documentaire, d’opter plutôt pour la métaphore et l’onirique.
Nous avons donc passé deux mois en immersion dans des petites villes du Pas-de-Calais, allant chaque jour au Rallye, au Café du Rond-point, à L’Alhambra, à La Cravache d’or, au Gallia. Dans ces cafés, nous avons appris comment jouer, comment décrypter le journal des courses, comment gagner et comment perdre, les joueurs nous ont conseillés, se sont gentiment moqués de notre ignorance, se sont parfois agacés de nos questions. Nous avons écouté les histoires de chacun, récits parfois surréalistes ou tragiques échangés comme ça, vite fait, au comptoir, comme si de rien n’était. Nous avons été témoins des bons coups, des intuitions géniales, du cheval-miracle, des gains trop rares et des jours sans.»
C’est munis d’un piège photographique, d’une caméra de console de jeu et d’un appareil compact argentique qu’ils ont travaillé. Le piège photographique est un outil d’observation du monde dit sauvage, utilisé par les chasseurs ou les biologistes. Son capteur infrarouge détecte le mouvement et la chaleur et son capteur d’image se déclenche chaque fois que quelqu’un ou quelque chose passe dans son rayon. Posé ici ou là dans un PMU, il va se déclencher en moyenne toutes les 4 secondes. Il permet des cadrages proches, au ras du sol, derrière le bar, dans une boîte. C’est un travailleur solitaire, une fois posé là tout le monde l’oublie et lui, il enregistre ce qui advient, en courtes séquences.
La caméra de console de jeu elle aussi est dotée d’un capteur infrarouge mais pour scanner en 3D. Elle sert habituellement à détecter le corps d’un joueur qui bouge devant la télé pour reproduire ses mouvements au sein du jeu. Associée à un logiciel adéquat, elle scanne et transmet des fragments d’espace, des objets ou des bouts d’architecture : guichets, coins de salles, néons… Tous flottant dans la page. Ils ont l’air d’avoir été dessinés, de sortir d’un croquis préparatoire à une huile sur toile. Les contours sont francs mais la matière s’étiole par endroits, laissant apparaître par transparence le fond de l’image. L’empreinte du décor des PMU devenue fragile, instable, évanescente.
Enfin l’appareil argentique perçoit les gestes trop brusques, s’émeut d’un drapé de blouson, d’un reflet dans un portefeuille en cuir, de chevilles croisées l’une sur l’autre, il montre la chair, l’environnement clos, l’air chargé d’impatience.
«Les Immobiles» est un projet mythologique, une danse entêtante. Les archers y sont comme des gardiens, les oiseaux comme des hommes libres et les turfistes évoluent au milieu d’un espace qui se volatilise doucement. De cet ensemble de prises, d’images volées, d’images scannées, de vidéos scandées en ressort un monde qui touche, qui émeut.
Léa Habourdin, née en 1985, a grandi dans le nord de la France et a étudié l’estampe et le dessin à l’Ecole Supérieure d’Art et Industries Graphiques Estienne à Paris puis la photographie à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles.
Thibault Brunet est né en 1982. Il est titulaire d’un Master de l’école Supérieure des beaux-arts de Nîmes.
Ouverture de l’exposition
Mercredi 14 janvier 2015