Le titre n’est certes pas vraiment fameux. D’un côté, il est vague, pouvant s’appliquer à n’importe quoi ; de l’autre, la parenthèse plurielle est une coquetterie inutile, un trait d’esprit mal placé, rappelant ces « Afrique(s) » de la manifestation de La Villette ou encore ces « cinéma, cinémas » d’antan aux pudeurs relativistes et prétentions post-modernes. Il n’y a pas à avoir peur d’affronter un objet, un problème ou un concept.
Mais on est frappé d’emblée par la qualité et la variété des représentations du geste, de la figure du danseur et, plus souvent qu’à l’ordinaire, de la danseuse, du gel ou de la notation du mouvement au moyen de techniques graphiques et parfois en 3D. Le choix iconographique ne peut que satisfaire un vaste public d’amateurs de danse, au sens large du terme, allant des balletomanes à leurs contempteurs — contemplateurs de contemporain, de la mouvance « CND ». Les amateurs de tutus — il y en a toujours —, les fétichistes, les collectionneurs d’antiquités, les admirateurs d’étoiles filantes, les fanatiques de ballerinas assolutas et autres gloires du passé, les friands d’expressivité et les férus de photogénie sortiront comblés.
L’espace réduit où sont accrochées et présentées toutes ces pièces parfois uniques au monde est un peu confiné — une exposition aussi précieuse mériterait plus d’air, plus de lustre. Mais les organisateurs et les scénographes ont réussi le prodige d’égayer et d’échauffer les lieux avec goût et esprit. Une salle est ainsi dédiée aux « dames blanches » chères à Pierre Lartigue et à Wilfride Piollet (présente au vernissage aux côtés de la danseuse contemporaine Sara Denizot), aux grandes figures du ballet romantique et premières solistes mythiques qui, si l’on peut dire, ont incarné les spectres : Marie Taglioni et Fanny Elssler. La charmante et avenante Valérie Colette Foliot qui, dans le catalogue de l’exposition, traite du travail de la dessinatrice Monique Lancelot, nous a fait découvrir les fusains et les magnifiques « instantanés » esquissés sous l’Occupation par la plume acérée de l’artiste et inspirés par les ballets de Lifar : Giselle et Joan de Zarissa.
Derrière des vitrines, on remarque quelques costumes de scène — un tutu virginal et un autre de cygne noir —, des dessins de la fin du 17ème siècle et des gravures en taille douce qui donnent une idée de ce que devaient être les ballets baroques de Lully et les attitudes des interprètes de l’époque — Jean Dauberval, Marie Allard, Marguerite-Angélique Peslin.
Plus loin, des bronzes du sculpteur Maurice Charpentier décomposent le mouvement ; un dessin raffiné mais indécent de Degas montre, tandis que la Commune de Paris battait son plein, les danseuses-courtisanes du Foyer de l’Opéra ; dans le genre égrillard, débauché et orgiaque, un tableau un peu pompier de 1875 peint par Gustave Boulanger a précisément pour thème la danse bachique ; une gravure anonyme intitulée L’Étreinte, datant de 1930, anticipe sur le très beau court métrage en noir et blanc de Bouvier-Obadia portant le même titre ; sur deux moniteurs, défilent des films d’archives consacrés à la danse, dont des films précieux de la Cinémathèque Pathé-Gaumont restituant les danses des Sakharoff, des imitatrices de Loie Fuller (représentée par ailleurs sur une affiche de Pal pour les Folies-Bergère) ou de Kurt Jooss.
Mais nous avons été plus sensibles, si l’on peut dire, aux photographies consacrées à la danse et prises tout au long du vingtième siècle. Aux images d’Allan A. Gulliland représentant Maja Lex, du studio Paz sur le ballet de Jooss en pleine répétition, du génial picto-photographe Waléry et de ses superbes tirages de danseuses nues, du studio G.L. Manuel détaillant les jambes de Mistinguett, de l’agence Bernand dévoilant le corps du jeune Lifar posant pour le vieux Maillol, une photo de James Abbe sur Ida Rubinstein et une curiosité esthétique : Jean Börlin dans son ballet derviche, en 1920…
Cette galerie de portraits rend au passage un coup de chapeau à une autre exposition qui eut lieu en 1933, « La Danse en mouvement », commanditée par les Archives internationales de la danse (dont le fonds est conservé à la Bibliothèque-musée de l’Opéra), à laquelle participèrent les photographes les plus prestigieux : Man Ray (portrait de Tamiris et non de… Tamaris !), un des frères Bragaglia (Arturo, si notre mémoire est bonne), Doris Ulmann (merveilleux point de vue sur Martha Graham dans Lamentation). Une forme de clin d’œil.
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