Dove Allouche, Richard Baquié, Matthew Buckingham, Seth Price, Ryan Gander, Guy Debord, Raphaël Zarka, John Miller
Les Dérives de l’imaginaire
De la rêverie à l’objet
Du désœuvrement à l’œuvre, de la rêverie à l’objet, de déplacements en détournements, d’hésitations en réalisations, «Les Dérives de l’imaginaire» entraîne ses visiteurs au cœur même de l’acte créateur. Pour mettre en lumière ces mouvements de l’esprit, quelques personnages surgissent pendant le parcours, mêlant artistes contemporains et maîtres du passé, documents de travail et œuvres. Ainsi, les dérives travaillées par Guy
Debord ou encore les relevés des déplacements d’enfants autistes par Fernand Deligny, sont des hors-temps certes, mais pas des hors sujets. Ils apparaîtront pendant la visite comme des digressions, des inserts, des corollaires enrichissant le propos, et donneront à l’histoire de l’art de nouvelles figures, de nouveaux héros.
De la Flânerie à la Dérive
Si la dérive marine désigne l’écart dans un itinéraire, Guy Debord la conçoit notamment comme une possibilité de cartographier la ville et de diffuser l’art dans la vie. Certaines opérations des «Dérives de l’imaginaire» se révèlent de véritables cartographies inversées, soustrayant le monde à un quadrillage. De la flânerie à la dérive, leurs pionniers et leurs successeurs plus contemporains n’ont eu de cesse de dépasser les oppositions entre le travail et le désœuvrement qu’imposait la morale. Seul ce désœuvrement est susceptible de favoriser le hasard, ses requalifications cruciales et ses conjonctions originales. Les artistes opèrent alors en spectateurs du monde dont les montages mettent en déroute toute efficacité: «Le temps de rien» pour un «dépassement de l’art».
Un théâtre de la pensée
«Les Dérives de l’imaginaire» explore les figures mentales qui aident à l’éclosion d’une œuvre d’art, d’un univers artistique. Véritable théâtre de la pensée dessinant des chemins ouverts, des rapprochements inédits ou des extensions insoupçonnées, l’exposition souligne le rôle décisif de l’imaginaire dans la fabrique de l’œuvre d’art. Or, ces dérives, ces constructions singulières, qui sont pourtant la quintessence de la création et de l’invention sont presque impossibles à définir. L’esprit, selon Paul Valéry, «tourne et retourne quelque chose qui n’a pas encore de nom dans sa propre langue, une étrange substance; jusqu’à ce qu’enfin ce «sujet», ce rien, ce moment, ce support universel, ce plasme — ressemble à un objet, touche à un objet, seuil, chance, hasard qui est connaissance!»
Les pulsations de l’imagination pensante
«Les Dérives de l’imaginaire» cherche ainsi à révéler les «pulsations de l’imagination pensante» (Paul Valéry).
Libres et inflexibles, elles nous plongent dans les profondeurs de l’esprit. Inventives et fascinantes, elles évoquent la mise en forme de la pensée. Matrices mais aussi motrices de l’acte créateur, elles sont mouvement, bouillonnement, turbulence imaginaire. Ces dérives qui prennent ainsi, selon les œuvres et les artistes, la forme de tracés, d’écritures, de graphies, de cartographies, d’atlas, de schémas, de dessins, d’images-pensées constituent le cœur de l’exposition. Entre sculpture et poésie, entre film et peinture, elles mettent en lumière les différents mouvements de l’esprit.
Trajectoires et ellipses
Merveilleux témoignages de l’activité imaginaire de l’esprit, ces formes de dérives, d’errance élaborent, selon les mots de Gaston Bachelard, une «poétique de l’espace». Elles reconfigurent de manière inédite l’espace et le temps. Cette spatialisation qui s’effectue selon différentes figures — comme la carte, la grille, l’atlas — est propice au cheminement, à la déambulation, à l’expérience urbaine. Or, «l’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation est à la langue» écrit Michel de Certeau. Parcourir la ville, c’est en révéler la forme. C’est s’approprier un système topographique, c’est définir des trajectoires, des ellipses. L’œuvre devient un espace qui absorbe les mots, les souvenirs avant de les déployer selon de nouvelles configurations géographiques, physiques ou mentales.
Territoire mental et sérendipité
En effet, cette imagination à l’œuvre, est aussi un exercice où la solitude de l’esprit crée des constellations, des faisceaux d’images esquissant de véritables territoires mentaux. «Je me déplace physiquement / mes désirs me projettent vers l’avant / et je laisse en arrière une quantité de moments / d’instants consommés et d’informations» confie Richard Baquié. Cette dérive est aussi ce récit où tout glisse, se dissout, se fragmente composant une topologie sans lieu. Ce désœuvrement, cette déambulation peut être aussi déchirure, interruption du temps, discontinuité. Fruit du télescopage de l’autrefois et du maintenant, la dérive est fulgurance, anticipation offrant, à chaque mouvement de l’esprit, un nouveau visage au temps et apportant des découvertes inattendues.
Celles-ci ne sont pas nécessairement le résultat d’un programme préalablement établi mais, comme l’exprime la notion de sérendipité, une découverte qui advient comme par hasard, au bout d’une piste que l’on suivait pour une autre raison et qui conduit à un résultat que l’on n’imaginait pas. La dérive devient une méthode paradoxale, incontrôlable par nature et dont on ne peut rien attendre et tout espérer.
Histoire sans récit, l’exposition demeure un espace mental ouvert, un champ disponible à la libre interprétation, une expérience qui a le charme de l’inachevé et la grâce du commencement. Aucune conclusion, aucune affirmation n’est souhaitée. Elle invite plutôt l’esprit du regardeur à percevoir grâce aux œuvres présentées, cette immensité intérieure, cette «concentration de l’errance».
Avec: Dove Allouche, Richard Baquié, Matthew Buckingham, Guy Debord, Trisha Donnelly, Rodney Graham, Rachel Harrison, William Hogarth, David Hominal, Douglas Huebler, William E. Jones, Oliver Laric, Mark Leckey, John Miller, Seth Price, Stephen Prina, Evariste Richer, Jean-Michel Sanejouand, Raphaël Zarka.