Plutôt que de guerre, il conviendrait de parler ici de violence. Quelques motifs renvoient inévitablement aux torturés anonymes d’Irak, mais c’est à peu près le seul rapport que l’exposition entretient avec la grande chose. Cette relativisation en induit une autre, celle afférente aux couleurs elles-mêmes. Les toiles de Bruno Perramant témoignent d’un sens des coloris et des ombres le plus souvent inachevé. Le pouvoir d’évocation de ces œuvres, dont les compositions sont classiquement ordonnées, pâtit de cet inachèvement.
Dans la dernière salle par exemple, au bout de l’escalier en colimaçon qui y mène, on découvre un paysage onirique sans grâce: deux soleils, l’un mat, l’autre brillant, y sont suspendus sur une mer de jaunes et de mauves. Plus bas, une toile présente un escalier à la Rembrandt découpant le plafond sans qu’aucune impression d’infini, ni même de saugrenu, n’émane de ce qui devient un motif, une forme, mais pas un univers.
Il y a bien ce portrait dont le titre fait référence au dernier rêve de Pasolini, et dont la torsion, l’application à sec de rouges sanglants sur un bleu bitumeux et des taches noires en pourrissent les chairs, et l’on sent alors près de lui quelque chose, quelque chose de violent. Mais, en regard, il y a un portrait de Monroe riant qui ne dit rien de la peinture, et rien de la guerre.
Plus bas, le fragment de lunettes de soleil dans lequel se reflètent quelques chairs est presque une trouée sombre, comme si le reflet de la lumière sur le plastique noir des branches ne méritait aucun égard. A quelques pas, contre la même paroi, il y a une scène: six hommes encapuchonnés s’affairent avec un drap au-dessus d’un homme nu, couché dans le sous-bois. Ce n’est pas seulement le fait que l’action soit vue de loin qui fait que l’on s’en désintéresse, c’est que les mouvements de ces hommes sont figés, et l’atmosphère naturelle qui les environne négligée sans profit.
La tête d’âne offre quelques belles nuances de gris, c’est l’un des meilleurs morceaux. Il évoque Chagall, fait penser — avec son œil dissimulé — à l’œil d’âne (et d’artiste) du Gilles de Watteau, mais un rehaut de rose saumon-ciment, de rose blouse, vient entamer le visage de l’animal — car les animaux ont un visage.
Quant aux trois toiles qui rendent hommage à Renoir, extraites de la série «Re.noir» déjà exposée en 2007, elles n’ont de violent que les jaune, bleu et vert artificiels qui se détachent inévitablement du fond d’encre. On peut trouver quelquefois mièvres les tons du vieil impressionniste, mais lorsqu’il cueillait un œillet rouge sur la chevelure brune d’une femme, il y avait là un noir que Manet eût envié.
L’univers sensible et personnel de Bruno Perramant n’est pas d’accès aisé, pour preuve les deux séries de quatre pégases écorchés, l’une sombre, l’autre claire, qui inaugurent la visite. Mais ce qui en scelle réellement l’accès, c’est sa peinture elle-même, qu’il semble moins questionner qu’il ne questionne le monde et lui-même.
A l’en croire, la guerre de Bruno Perramant consisterait en une petite expédition qu’il mène toile au vent contre le monde tel qu’il se présente aujourd’hui dans sa «grisaille lugubre», en proie à «l’effacement de la nature» et à «l’obscurité voulue». Lorsque à la puérilité des poncifs se substitue une expression telle que «le désenchantement des parasites cocaïnés», auquel il s’oppose également, on est un peu triste pour la peinture, mais rassérénés qu’il ait choisi le pinceau plutôt que la plume, soulagés d’être ainsi maintenus dans la confusion des coloris.
— Bruno Perramant, Deux soleils n°2. Huile sur toile. 130 × 195 cm
—Â Bruno Perramant, Portrait de l’artiste au sac de riz (Autoportrait), 2010. Huile sur toile.
46 × 38 cm
— Bruno Perramant, Re: noir, jaune, 2010. Huile sur toile. 200 × 160 cm
— Bruno Perramant, Re: noir, bleu, 2010. Huile sur toile. 200 × 160 cm
— Bruno Perramant, Les Draps verts, 2010. Huile sur toile. 80 × 60 cm
— Bruno Perramant, Le Torchon rose, 2010. Huile sur toile. 80 × 60 cm
—Â Bruno Perramant, Portrait de l’artiste au sac fleuri (Fabrice Hybert), 2010. Huile sur toile.
46 × 38 cm
— Bruno Perramant, L’Escalier bleu, 2009. Huile sur toile. 162 × 130 cm
— Bruno Perramant, Le Torchon vert, 2010. Huile sur toile. 80 × 60 cm
— Bruno Perramant, L’Ane et rien, 2010. Huile sur toile. 80 × 60 cm
— Bruno Perramant, La Forêt brune et jaune, 2010. Huile sur toile. 180 × 180 cm
—Â Bruno Perramant, Quatre chevaux, apocalypse blanche, 2006. Huile sur toile. Polyptyque. 60 x 73 cm chacun – 4 tableaux
—Â Bruno Perramant, Quatre chevaux, le premier ciel, 2007. Huile sur toile. Polyptyque. 73 x 92 cm chacun – 4 tableaux
—Â Bruno Perramant, Aurore, 2009. Huile sur toile. Polyptyque. 80 x 100 cm chacun – 5 tableaux
—Â Bruno Perramant, La Couverture orange, 2009. Huile sur toile. 80 x 60 cm
—Â Bruno Perramant, Portrait de l’artiste au sac fleuri (Fabrice Hybert), 2010. Huile sur toile. 46 x 38 cm
—Â Bruno Perramant, Re: noir, vert, 2010. Huile sur toile. 200 x 160 cm
—Â Bruno Perramant, Paysage guerre, 2010. Huile sur toile. 80 x 100 cm
— Bruno Perramant, Le Dernier Rêve; Pasolini, Monroe, 2010. Huile sur toile. Diptyque. 46 x 55 cm chacun