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Les catastrophes sont naturelles

PCédric Le Borgne
@12 Jan 2008

Autour de la sculpture d’un arbre brisé sur des couches de cartons apparemment stables, Lucie Chaumont expose une série de dessins minutieux, «Les catastrophes sont naturelles», interrogeant la réalité cachée sous la terre, dans les âmes, et dans les outils mêmes qui servent à bricoler la surface lisse des terrains et des pensées.

L’art est dans la nuance
Tout commence par un autoportrait. En 2002, tout juste diplômée des Beaux-arts et encore privée de l’espace nécessaire pour travailler, l’artiste a figuré son bouillonnement physique et métaphysique par un dessin : Volcan en éruption, qui fait à peu près sa taille.

De même, A la mine représente sur 1,75 mètre de hauteur le schéma scientifique d’une mine posée sur l’épaisseur terrestre qui la porte. Jeu de mots sur l’objet scientifique représenté, l’outil de l’artiste, et l’importance du travail accompli, cette mine est installée sur un terrain géométrique et pourtant glissant.
Le coup de grisou ou l’effondrement sont naturels. Dans tout travail de forage, de recherche, et dans tout geste porté sur la nature, quelque chose échappe à la main de l’homme ou de la femme.
Après avoir exposé En détail, des installations et des objets multiples, bruts et bricolés lors de sa dernière exposition chez Eva Hober, c’est par le biais du dessin, dans la rigueur d’un travail quasi mécanique, que Lucie Chaumont poursuit sa recherche esthétique sur l’envers du décor.

D’une main appliquée, elle met en question ce qui est, pour aller au-delà des apparences et retrouver les processus bizarres et baroques qui font que la réalité semble tenir debout.
Reprenant un Nuancier qu’elle avait grisé au crayon pour son exposition de 2005 à la galerie, elle a retravaillé les couleurs et les traits de gris pour travailler avec une sérigraphe. S’emparant de l’outil même de celle-ci (les nuanciers sont indispensables pour réaliser des sérigraphies), l’artiste le présente comme objet d’art. Elle le montre donc comme un produit fini, voire même fignolé, puisqu’il prend une forme industrielle qu’on ne soupçonne pas de loin.
C’est sur une planche blanche sobre, et à côté de son élégant boîtier que vous verrez ce nuancier. En un aller retour entre ce qui est montré et ce qui est à peine dévoilé, vous pourrez vous rendre dans le bureau de la galerie pour comparer cette version de 2007 avec l’ancien nuancier déjà jauni par le temps.

Les dessins réalisés spécialement cette année en vue de l’exposition «Les catastrophes sont naturelles» sont tous issus de schémas de vulgarisation scientifique. Cette origine leur confère une part d’universel que l’artiste s’est réapproprié.
Si la plupart des dessins s’attachent à comprendre les épaisseurs et les richesses qui dorment sous terre (Dislocation du sol, Volcan, Dôme de sel, Piège anticlinal, Piège par faille, Nappe d’épanchement, et Cul de sac), tous partagent avec Iceberg le même souci d’interroger la face cachée.

C’est sur des nuances de gris créées par des mines de différentes tailles que Lucie Chaumont s’appuie pour représenter les différentes nappes de terrain. Méthodique, elle donne ainsi à voir la complexité de ce qu’on ne peut pas percevoir à l’œil nu.
Laborieuses et répétitives, ces couches superposées de gris font penser au travail d’une imprimante. Difficile travail pour l’homme que d’imiter la machine. Les dessins ont demandé à l’artiste un très haut degré d’ascèse et de concentration. Le spectateur ne s’y trompe pas : il reconnaît la somme de travail de l’humain, ce qui lui permet de partager l’état de lévitation dans lequel l’immersion technique a plongé la dessinatrice.

Les papiers maculés de gris précis se transforment alors en objets de méditation. Par delà la réflexion politique et éthique sur l’exploitation mortifère des ressources naturelles de la planète, les dessins de Lucie Chaumont appellent à une recherche intérieure : en s’immergeant dans leur lignes, le visiteur peur mettre en cause ses propres glissements de terrain et comprendre quels abîmes inévitables de catastrophes sont tapis en lui.

Yaël Hirsch est responsable de la rédaction de la newsletter quotidienne
www.en3mots.com

Lucie Chaumont
— Dôme de sel, 2007. Crayon sur papier. 50×40
— Dislocation du sol, 2007. Crayon sur papier. 65×45
— Nappe d’épanchement, 2007. Crayon sur papier. 42×29.7
— Nuancier, 2007. Imprimé en sérigraphie sur papier « museum » 6/10e
par Valérie Vernet. 13×4.5. édition de 10 exemplaires numérotés
— Partie de la montagne projetée par l’explosion, 2007. Crayon sur papier. 50×40

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