Régis Perray
Les bouts du monde
Marcher, observer, balayer, déblayer, passer, repasser, astiquer, témoigner, collectionner, telles sont les actions et inactions produites par Régis Perray depuis le milieu des années 1990. La Galerie Gourvennec Ogor accueille la première exposition personnelle de l’artiste, constituée de trois pièces fondatrices, accompagnées de photographies et d’installations plus récentes.
De Nantes à Marseille, d’un port à l’autre, d’un bout du monde à un autre. Régis Perray a les pieds sur terre. Sa pratique découle d’une association entre son attachement au monde du travail, plus particulièrement aux métiers en lien avec la modification des sols, et son approche sensible des chemins qu’il emprunte. En exote passionné et responsable, il traverse des lieux, où chaque fois le sol est mis en perspective avec son expérience d’un territoire délimité. Un sol pavé, bétonné, caillouteux, poussiéreux, carrelé ou recouvert de parquet.
Chacun d’entre eux détermine l’empreinte du site qu’il va sonder. De la France à l’Egypte, en passant par la Pologne, la République Démocratique du Congo ou la Corée du sud, il arpente les sols comme les témoins d’une culture et d’une histoire auxquelles il souhaite se frotter au sens propre comme au figuré. Pour cela il s’impose un processus, un rythme, qui va lui permettre d’être, le temps d’un séjour, en harmonie avec le lieu choisi. Grâce à une gestuelle simple, répétée, il alterne entre efforts et temps de repos, pour vivre l’espace avec lequel il dialogue discrètement. Cette nouvelle exposition présente, entre autres, trois oeuvres produites à partir d’une archéologie personnelle des sols. Via la photographie, la vidéo et la sculpture, Régis Perray compile et classe ses collections d’images, de traces et de signes.
Le Mur des sols (1995-2012) est le fruit d’années de recherches iconographiques durant lesquelles il a rassemblé des cartes postales, des images de presse et des cartes topographiques. Des documents en lien avec les sols du monde, classifiés en plusieurs groupes: engin, travail, guerre, sport, cimetières, sacrés, etc. Mis bout-à -bout, les groupes constituent un ensemble qui mesure aujourd’hui plus de 40 mètres. À Marseille, sont présentés 14 mètres d’images, accrochés de manière à ce que chaque visiteur puisse embrasser tous les visuels. Une accessibilité qui permet une prise en compte individuelle de chaque document par tous. Le Mur des sols est une cartographie évolutive, mentale et concrète qui synthétise les recherches de l’artiste. La mémoire des lieux est bien au coeur de son projet artistique.
À cette carte murale correspond une carte matérielle disposée sur le sol de la galerie. Les Bouts du monde, oeuvre qui donne son titre à l’exposition, est formée de déchets de bronze disposés sur le sol de la galerie. Lors d’une résidence en Franche-Comté, il a travaillé dans un atelier voisin d’une fonderie de bronze, qu’il a apprivoisé et côtoyé tous les jours. Lors des coulées, des jets de métal liquide ont formė des déchets solides sur le sol. Alors, a débuté une collecte de ces rebuts, puis il a fait couler le bronze liquide directement sur le sol pour obtenir des plaques plus grandes. Il a conservé ainsi plus de trois cents morceaux de tailles différentes, articulés au lieu d’exposition et envisagé comme des îles supplémentaires, des bouts du monde, en plus. Des îles nées du hasard qui ont donné vie à une cartographie imaginaire et relationnelle.
Enfin, la vidéo Serial Floors (2006-2008) compile le résultat du visionnage journalier de 70 séries policières diffusées à la télévision, sur une durée de 24 mois. Deux années où sur son petit écran sont apparus 549 cadavres, allongés sur des sols, tous différents les uns des autres. Des surfaces multiples faisant écho à un drame et à l’histoire de ces personnes fictivement assassinées. Une fois de plus, l’artiste s’est tenu à un processus précis et exigeant pour extraire de ces sols télévisuels comme un épisode de 52mn où mort, histoire, mémoire et zones matérielles s’entremêlent et produisent du sens.
C’est par le simple contact de notre corps avec le sol que nous ressentons et découvrons l’espace que nous traversons. À partir d’une constatation évidente et essentielle, Régis Perray décortique et prolonge sa relation avec l’espace. Le temps d’une résidence, d’une exposition, d’un voyage, il enclenche un processus relevant de la chorégraphie et partage un moment de communion, intense et modeste, entre son propre corps et le lieu. Les sols sont les témoins éphémères d’un monde en chantier, entre construction, destruction et reconstruction. Ils sont la surface visible et concrète d’une histoire aux couches multiples, superposées, que l’artiste tente de décoder. Subtilement, il nous invite à prendre conscience de notre propre histoire.
Julie Crenn.
Vernissage
Jeudi 22 mars 2012 Ã partir de 18h.