Dans la série de répétitions ouvertes ayant pour titre «Nourritures sensibles», Mains d’Œuvres a invité la chorégraphe Maxence Rey à présenter le dernier état de son solo Les Bois de l’ombre, dont nous aurons une idée plus juste lors des représentations publiques qui auront lieu les 11 et 12 juin prochains.
En attendant la version définitive de cette pièce courte, nous avons pu découvrir une étape déjà bien avancée du travail de Maxence Rey, fin avril dernier, à Saint-Ouen.
Il nous a été demandé de sortir du bâtiment où le bar était, curieusement, fermé un soir de spectacle, pour nous rendre dans le studio de danse et voir ce qui s’y trame. Nous avons accédé à l’endroit où devait être présentée la pièce par une porte dérobée de la rue Garnier.
Les studios de danse contemporaine ont perdu leurs miroirs. Comme si Narcisse avait disparu. Celui de Mains d’oeuvre n’échappe pas à la règle. Il n’a ni glace ni fenêtre.
Maxence Rey se produit, comme elle le dit elle-même lors d’une brève présentation, « à cru », autrement dit en pleine lumière, uniquement soutenue par une bande-son électro-acoustique.
Pour tout décor, un cube blanc, sur lequel la jeune femme passera le plus clair de son temps. La mariée était en robe noire, un vêtement confectionné en une matière légère, soyeuse ou synthétique, moulante au niveau du tronc et évasée à partir des membres postérieurs. Elle arbore le chapeau d’une prêtresse orientale d’un culte jusqu’ici inconnu, qui rappelle vaguement la toque s’élargissant vers les cieux des popes orthodoxes, le couvre-chef en entonnoir de Farida Khelfa, ex-égérie de Jean-Paul Goude, dans un clip où elle tournoie comme un derviche, vêtue d’une robe à panier, tenant dans ses bras le couturier Azzedine Alaïa, ainsi que la coiffe des danseuses zulus — celles du groupe Shikisha, par exemple.
Maxence Rey est majestueuse, solennelle, olympienne, là -dessus, pas de doute. Et énigmatique. Son regard nous transperce. La danseuse est douée pour le mime. Elle passe tranquillement de l’immobilité absolue à des panoramiques du visage et à des pivotements discontinus du reste du corps.
Elle prend appui sur la demi-pointe, tend comme il faut les mollets, met en valeur le cou de pied, les jambes, les bras, se montre à son avantage, d’abord de face, puis de profil.
Le corps s’anime peu à peu, est parcouru de tressaillements, de soubresauts ; elle tend une main, puis le bras tout entier vers l’arrière ; elle produit des vaguelettes avec ses membres supérieurs en un réflexe de cygne noir ; elle change d’axe, d’angle d’attaque, de position et, tout en restant assise, relève la tête ostensiblement, puis étire tout le haut du corps vers le fond de la salle ; plus tard, elle se lèvera et montera sur le piédestal pour y poser comme si elle était la reine d’Égypte…
L’engagement total de la jeune femme, sérieuse comme une papesse, sa belle allure et sa force de persuasion sont tels que nous nous sentons obligé de comparer sa variation au classique de la modern dance, le Lamentation (1930) de Martha Graham et à la série de variations de Carolyn Carlson, Blue Lady (1983).
Certes, l’intensité n’est pas tout à fait la même. Ni la virtuosité. Les pionnières américaines tiraient de remarquables effets plastiques et dramatiques d’accessoires aussi élémentaires que des robes en jersey — ainsi que, dans le cas de Martha Graham, de son voile… semi-intégral.
Mais Maxence Rey exprime sobrement ce qu’elle a à dire. Elle a déjà , c’est incontestablement un atout, le sens du spectacle et elle nous réserve quelques surprises pour son finale — une façon toute personnelle de se dévoiler en désignant les artifices auxquels elle a eu recours. Son affaire est rondement menée et, malgré son titre, la pièce a une structure nette et précise.
— Chorégraphie et interprétation: Maxence Rey
— Création sonore: Vincent Brédif
— Costume: Lou Rimaé