Au cours de sa carrière, l’artiste d’origine suisse Dieter Roth (1930-1998) change plusieurs fois d’identité. Il est Diter Rot en 1959, Dieter Rot en 1968, pour redevenir enfin Dieter Roth à partir de 1973. Coulant des bustes en chocolat de lui-même ou donnant à l’un de ses collectionneurs fidèles des instructions pour réaliser des « saucisses littéraires » à partir de l’œuvre d’Hegel, il pratique aussi bien le dessin que la peinture, la sculpture ou la littérature.
Le Musée des arts décoratifs de Paris met actuellement à l’honneur l’un des visages de cet artiste multicarte : celui du créateur de bijoux. Dieter Roth endosse ce nouveau rôle en 1957. Á cette époque, il vient vivre en Islande pour y rejoindre sa compagne et s’installe dans le sous-sol d’une laverie de Reykjavik. En 1958, il fait la connaissance de Hans Langenbacher, orfèvre suisse lui aussi installé en Islande. Commence alors entre les deux hommes une fructueuse collaboration de plus de vingt années. Dans un perpétuel dialogue, ils mettent au point des objets hybrides, bagues-sculptures modulables entre parure et multiple d’artiste, dont le Musée des arts décoratifs présente six modèles. L’institution documente la genèse de ces créations grâce aux lettres et croquis échangés entre Roth et Langenbacher.
Comme une métaphore de l’œuvre de Roth toute entière, les bagues sont changeantes. Le principe en est identique pour plusieurs modèles. Un anneau précieux, d’or massif ou plaqué, vient accueillir des éléments interchangeables réalisés à partir de matériaux courants tels le plexiglas ou le laiton doré. S’attaquant au domaine noble de la joaillerie, Roth reprend ironiquement le principe classique d’un support sertissant une pierre de prix.
Ludiques, les bagues Chapeau (1971) ou Zoo (1975) offrent la possibilité de choisir entre plusieurs couvre-chefs miniatures, du haut-de-forme au bonnet pour la première et six têtes d’animaux pour la seconde. Quant à la bague « à éléments giratoires » en plexiglas (1975), elle ne propose pas moins de quinze possibilités de montages différents. Á chaque fois, l’anneau et ses composants sont conçus pour être vendus dans des boîtes également dessinées par Roth.
Ici, l’enjeu n’est pas la création d’un objet, mais plutôt la mise en valeur de sa potentialité, avec l’intervention nécessaire de son propriétaire. L’ensemble ne manque pas de provoquer un certain enthousiasme. Il semble être un appel à la créativité de chacun plutôt qu’une démonstration du brio de l’artiste, dont la figure démiurgique est doublement malmenée par ces objets malicieux. Celui-ci apparaît en effet autant comme un artisan que comme un maître inspiré et se délaisse finalement d’une partie de ses prérogatives pour donner à l’acheteur le choix de la physionomie de l’objet.
Véritable apologie de l’art comme bricolage, domaine auquel l’artiste emprunte l’élément emblématique de la vis, l’activité de Dieter Roth échappe à la dimension parfois illustrative des arts décoratifs telle qu’elle est pratiquée par certains artistes. Loin d’être la simple transcription des thèmes d’une œuvre plastique, elle en est le prolongement naturel et semble affirmer une fois encore, et plus que tout que « l’art c’est la vie ».