Julius von Bismarck
Les bêtes sont bêtes et les plantes le sont encore plus
Julius von Bismarck vit a Berlin. Cette information a son importance. Son travail interroge souvent de façon spectaculaire le rapport de l’homme à la nature et l’écart grandissant qui les sépare. En considérant l’époque actuelle, il semble ne pas y avoir d’alternative au modèle urbain, à l’expansion des villes. Pourtant, quelle échappée ou extériorité nous restent-ils sinon la nature encore et toujours? Mais quels liens avons-nous conservé avec elle? Cette question est si vaste qu’il semble impossible de résumer ici ce qui s’est sédimenté et transformé au fil des siècles jusqu’à notre époque où viennent s’ajouter des considérations écologiques.
Bien sûr, les traces du romantisme européen, du rapport de l’homme à la nature, sont encore vivaces. Mais «le décor du drame de la vie humaine» reste-il toujours la nature ou bien ressemble-t-il davantage à celui qu’offrent les métropoles de plus en plus nombreuses? Et que dire aujourd’hui du regard que nous portons sur elle? N’est-il pas plus idéalisé, plus parfait, plus superbement nature que la nature elle-même? Julius von Bismarck présente un ensemble de travaux interrogeant sans concessions cette relation complexe et ambigüe.
Kunst (2013) une série de photos noir et blanc, réalisée en collaboration avec Julian Charière, montre des environnements naturels, cratère, dune, etc., sur lesquels l’artiste est intervenu de façon radicale en peignant à l’aide d’un médium synthétique des mots mettant directement en lien la nature et sa forme conceptualisée. Ainsi peut-on lire sur un cratère: «Crater» (cratère), dans un pré: «Wiese» (pré), etc. La banalité des termes contraste avec la réalité, car la question se pose de savoir si l’on ne regarde pas plus une forêt que de simples objets. Ce que nous définissons en une fraction de seconde comme étant une forêt évacue la complexité de tous les éléments qui la composent. Kunst travaille les limites de la définition elle-même. À partir de là , que regardons-nous vraiment?
Pour le projet Forest Apparatus (2013) Julius von Bismarck a créé un arbre factice qu’il « a planté» au milieu d’une forêt allemande. Cette expérience est restituée dans l’espace de la galerie par deux photographies et des objets en silicone ayant servi à reproduire un bouleau à l’écorce blanche écaillée. La première image, faite au printemps, donne à voir le faux arbre sans feuilles au sein d’une forêt renaissante. Dans la seconde, prise en été, il demeure inchangé quand tout autour la floraison est a son apogée. Lorsqu’un seul «faux» arbre est placé au sein de la forêt, cette dernière est toute entière vue avec scepticisme. Une seule intervention altère la perception de l’ensemble remettant en cause sa «naturalité». Dés lors, comment savoir si ce que l’on regarde correspond parfaitement à l’idée que l’on s’en fait?
Stirb langsam (2013) est une vidéo inédite conçue pour cette exposition. Julius von Bismarck s’y met en scène découpant un chêne centenaire à l’aide d’un canif. L’expérience dure 24h (le film aussi), durant lesquelles l’artiste fait le tour de l’arbre répétant le même geste en continu de jour comme de nuit. Ce défi, à la fois physique et psychologique, semble progressivement installer l’artiste dans une situation propice à méditer sur l’action elle-même. La durée de cette performance place le spectateur dans une situation inconfortable et paradoxalement favorable à une forme d’empathie simultanée envers l’arbre et l’artiste.
L’action permet de s’interroger sur l’usage de ce couteau qui, de toute évidence, semble inapproprié. À l’aide d’un outil plus adapté, quelques secondes auraient suffi pour abattre ce chêne centenaire. Et c’est bien ce rapport au temps long qui permet de rendre visible ici l’emprise de la main de l’homme sur la nature devenue un sujet lointain voire exotique pour Julius von Bismarck. Pour s’en rapprocher, l’artiste a choisi d’en faire l’expérience.