Né en 1972 en ex-Tchécoslovaquie, Ján Mančuška, qui a vécu Prague, a représenté son pays à la Biennale de Venise de 2005. Rattaché à de nombreux courants de l’art contemporain, son travail se situe pour l’essentiel dans le sillage de l’art conceptuel, en raison de l’importance accordée au texte et aux mots. Mais à travers les mots, c’est le réel et ses ambiguïtés qui passionnent Ján Mančuška. Le réel tel qu’on le perçoit, et non pas conforme à une vérité objective. Aussi, le travail de Ján Mančuška s’articule-t-il autour de la narration, de l’imagination, et du rapport que ces fictions entretiennent avec le réel.
Très implanté dans la vie artistique pragoise, Ján Mančuška fonde en 1997 le collectif BJ avec Josef Bolf, Tomás Vanek et Jan Serych (qui, tous, participent à cet hommage), et organise des expositions pour ses amis. C’est de l’importance de ces amitiés que témoigne l’exposition-hommage. Amitiés réelles autant qu’artistiques.
Un gros classeur rassemble les échanges de mails entre Jocelyn Wolff et les différents artistes. On peut ainsi suivre la façon dont l’exposition s’est construite.
Certains ont choisi des pièces déjà existantes, que Ján Mančuška avait particulièrement aimées, ou même exposées. D’autres ont choisi une œuvre qu’il aurait sans aucun doute aimé, parce qu’elle se rapproche de ses préoccupations. D’autres encore ont créé une nouvelle pièce pour l’occasion.
La lecture de ces mails est en tout cas touchante car elle révèle à quel point tous ces artistes, ses amis, sont soucieux de choisir le travail le plus «juste». Sans qu’aucune œuvre de Ján Mančuška ne soit exposée, il est là, partout. Et c’était bien l’intention de la galerie que de montrer à quel point son travail occupait «en creux» l’espace, comme s’il avait imprégné les murs.
L’exposition est composée de vingt artistes, presque tous originaires d’Europe de l’est, principalement de République tchèque. Certains présentent plusieurs pièces. L’exposition est dense, imprégnée de cet esprit post-conceptuel, et pas toujours d’une grande lisibilité. Mais le but n’est pas ici pour les artistes de réellement faire connaître leur travail : il s’agit de rendre hommage.
La pièce de Vladimir Kokolia, intitulée Archon, est celle qui est la plus directement reliée au décès de Ján Mančuška. Un petit morceau de papier, un peu taché, est plié et accroché à la fenêtre donnant sur la rue. Il est précisé à proximité que l’œuvre évoque une guêpe qui tournait autour de Vladimir Kokolia lors de l’enterrement de Jan. On sait combien, dans ces moments, les plus petites choses se chargent de sens. De ressemblances en ressemblances, l’artiste a reconstitué la guêpe par pliage, lequel est vite apparu comme un très symbolique papillon d’une bouleversante fragilité.
Des deux pièces de Dominik Lang, Name List Of Visitors créée pour l’occasion, se compose d’une grande feuille sur laquelle chacun est invité à inscrire son nom, en manière d’hommage, comme cela se pratique dans les enterrements.
La plupart des autres œuvres ont été choisies pour leur proximité avec les problématiques du travail de Ján Mančuška: l’interrogation sur la signification du langage pour Jiri Kovanda, la mémoire pour Trevor Lloyd (Untitled Landscape), la «réalité fictionnelle» pour Laurent Montaron (Hypothétique page de la fin du cinquième chapitre du Mont Analogue de René Daumal), etc.
Parfois, comme pour Christoph Weber avec Inversion, c’est une conversation avec Ján Mančuška qui est à l’origine de l’œuvre.
Les choix paraissent parfois un peu mystérieux. Pourquoi telle ou telle œuvre? Mais ce sont assurément des critères souvent privés, voire intimes, qui ont prévalu. L’amitié au moins autant que l’esthétique.
Même si l’on ne connaissait pas le travail de Ján Mančuška, on ressort de cette exposition en en ayant une véritable idée, voire avec la sensation de le connaître un peu aussi.
Cet hommage délicat, par delà les circonstances tragiques, rappelle que l’art est aussi une histoire d’amitié, d’influences partagées, de complicités.
Artistes
Jesper Alvaer, Zbynek Baladran, Josef Bolf, Oskar Dawicki, Jamie Isenstein, Vladimir Kokolia, Eva Kotatkova, Jiri Kovanda, Dominik Lang, Trevor Lloyd, Laurent Montaron, Roman Ondak, Boris Ondreicka, Dan Perjovschi, Jan Serych, Jiri Skala, Tomáš Svoboda, Tomáš Vanek, Christoph Weber, Clemens von Wedemeyer
Œuvres
— Clemens von Wedemeyer, Double, self, portrait, 1997-2011. Impression négatif noir et blanc. 63,5 x 55,5 cm
— Eva Kotatkova, Parallel biography, 2011. 6 dessins, collages. 30 x 21 cm, 42 x 29,7 cm, 42 x 29,7 cm, 29,7 x 21 cm, 17 x 12 cm, 62,7 x 45,1 cm
— Jiri Kovanda, Untitled, 2008. Photographie noir et blanc et texte sur papier. 29,7 x 21,3 cm
— Christoph Weber, Inversions, 2011. Béton. 29,7 x 42 x 2,5 cm
— Tomas Vanek, Particip no 141, 2011. Acrylique sur toile et mur. 65,5 x 56 cm