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Les Aides à projet 2010 et la carte blanche 2010

Crise oblige, la cuvée 2010 des aides à projet Via se fait plus exigeante. Seulement cinq heureux élus cette année, parmi lesquels Itamar Burstein (avec deux projets) et Antoine Fritsch, tous deux lauréats pour la quatrième fois. Destinées à de jeunes designers porteurs de projets originaux et innovants, ces aides sont conditionnées depuis 2007 à un critère qui semble aujourd’hui dominer l’ensemble des recherches : l’écoconception et le développement durable. D’où sans doute une plus forte convergence entre les démarches, dans l’utilisation de matériaux naturels et faiblement retraités, leur unicité ou leur mode d’assemblage, ou encore l’optimisation des process de fabrication.

Si cet impératif est lisible au niveau des objets finaux, il n’exclut pas pour autant la recherche d’une originalité graphique. Pour l’ensemble Flex, Itamar Burstein utilise des essences de bois différentes qui mettent en valeur le principe constructif de chaque élément et lui confèrent une identité visuelle. La chaise Wood de Richard Perron met à profit les veinures du bois et l’assemblage des découpes pour évoquer en trompe l’œil les sièges en jonc tressé… Langage épuré et fonctionnalité assumée, la sélection 2010 semble confirmer le retour en force d’une esthétique inspirée du design scandinave. Avec sa coque souple composée de tiges de rotin cintrées en forme de U et clippées sur un châssis en inox, le superbe fauteuil DLR d’Antoine Fritsch évoque à la fois les assises en corde tendue d’Hans Wegner ou Poul Kjaerholm, et les architectures squelettiques de Santiago Calatrava.

Instaurés en 2008, les projets partenariaux ont pour objectif de favoriser les transferts de compétences en associant designers et industriels autour de technologies ou de matériaux innovants. Cette année, deux collaborations de ce type sont à l’honneur : celle engagée depuis déjà deux ans par Vincent Poujardieu avec l’entreprise rennaise Euro-Shelter autour du panneau sandwich en structure nid d’abeille aluminium (dont on a pu voir les premiers résultats lors des Designer’s Days 2009), et celle, plus récente, d’Elise Gabriel avec la société The Green Factory.

Cette dernière collaboration a pour but d’identifier les applications possibles dans le domaine de l’ameublement du Zelfo, un matériau 100% biodégradable, fabriqué à partir de matières recyclées ou rapidement renouvelables. Elise Gabriel a choisi de travailler sur les qualités d’étreinte du matériau qui, lorsqu’il sèche, se resserre sur les éléments qui lui servent de support et les maintient soudés. Ses recherches exploitent de manière très convaincante les qualités expressives du Zelfo : sur la chaise Liga, il prend l’allure d’un plâtre que l’on aurait posé sur une lointaine descendante de la chaise Thonet pour traiter une fracture. On pense au projet Reanim des 5.5 Designers et à leur « médecine des objets ». Plus surprenant encore, sur les tréteaux Ossos, le Zelfo prend la forme d’une écorce, ou d’un tissu organique qui se propagerait en se calcifiant.

Élément le plus attendu de chaque nouvelle exposition des aides à la création Via, la carte blanche est attribuée à des designers confirmés avec l’objectif de développer un projet de caractère prospectif. Lauréat 2010, l’agence nantaise Faltazi propose un projet de cuisine idéale, dont le nom, Ekobook, résume bien le programme : « lieu principal de production des déchets domestiques », la cuisine est ici soumise à une « éco-approche globale » visant à « atteindre une meilleure symbiose avec l’environnement ».

Taille imposante, allure de cuisine pour collectivités, Ekobook s’articule notamment autour de trois « micro-usines ». La première est dédiée au tri, au traitement et au stockage des déchets solides, décomposés en cinq catégories. La seconde à la récupération et au recyclage de l’eau. La troisième est un lombricomposteur, composé d’un tambour rotatif où les déchets organiques sont transformés en compost par des lombrics. Introduire des vers dans l’espace domestique le plus soumis aux impératifs d’hygiène aura certes de quoi arracher quelques cris d’effroi à bon nombre de ménagères. De ce point de vue, le projet est plutôt remarquable, tant il ose remettre en cause bon nombre de principes a priori immuables. Il propose en outre des dispositifs alternatifs de stockage, de conservation et de cuisson, dont on peut dire sans trop s’avancer qu’ils trouveront à plus ou moins long terme un écho chez les industriels.

Et pourtant, Ekobook laisse perplexe. L’an dernier, Philippe Rahm menait lui aussi une réflexion sur le développement durable, appliquée dans son cas à la ventilation de l’habitat. Son projet, emprunt d’une grande poésie et de qualités esthétiques certaines, parvenait sans peine à séduire. Ici, l’impression dominante est de contempler un patchwork d’innovations certes ingénieuses mais combinées sans grand souci de l’utilisateur par des designers exaltés par leur vision d’un monde converti à la protection de l’environnement. Lieu de vie, d’échange et de partage, la cuisine semble ici se résumer à un lieu de production, où l’action même de cuisiner passe au second plan tant le discours est préempté par la question du tri et du recyclage.

La lecture des 30 pages du catalogue consacrées au projet confirme d’ailleurs cette impression : « habitants-consom’acteurs », « activisme écologique », « écobénéfice »… le vocable est militant et le CV des designers s’apparente davantage à une profession de foi. Avec Ekobook, Faltazi invente la cuisine ultra-vertueuse pour citoyens ultra-vertueux. Vision prospective ou utopique ?

Itamar Burstein
— Collection Flex-Wooden, Aide à projet Via 2010. Bois.
Richard Perron
— Chaise Wood, Aide à projet Via 2010. Bois.
Antoine Fritsch et Vivien Durisotti
Fauteuil, Aide à projet Via 2010.
Elise Gabriel et The Green Factory
L’Etreinte du Zelfo, projet partenarial Via 2010. Zelfo.
Agence Faltazi (Victor Massip et Laurent Lebot)
— Cuisine Ekobook, Carte blanche Via 2010.
— Cuisine Ekobook, Lombricomposteur, Carte blanche Via 2010.

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