Yazid Oulab
L’ère du graphite
Au loin, se découpant telle une chaîne, des montagnes urbaines courent d’un mur à l’autre de la galerie. Juchés sur ces montagnes qui sont en fait des silhouettes d’immeubles en perspective, des stylites nous dominent et racontent leurs exploits à ceux qui se présentent pour découvrir les œuvres de Yazid Oulab.
En guise de feu de camp, l’artiste pose au sol un lustre. Il en a remplacé les cristaux par du charbon et les lumières par des personnages en prière. Au sein du même objet, le combustible et l’énergie qu’il dégage s’associent. Le carburant de nombreuses centrales thermiques que l’on appelle aussi des centrales à flamme, le charbon, sert à alimenter en
électricité nos villes et nos foyers. De la noirceur du charbon naîtrait donc la lumière, tout comme le Phénix, cet oiseau légendaire, doué de longévité, qui possède l’étrange pouvoir de renaître après s’être consumé sous l’effet de sa propre chaleur. Pour se transformer, il faudrait attiser un feu capable de nous consumer et d’éclairer les ténèbres. C’est par le feu que l’on illumine, par le feu que l’on purifie et par le feu, enfin, que l’on se libère. Par le feu vient aussi le châtiment, souvenons-nous de Phaéton foudroyé par Zeus pour avoir perdu le contrôle du char qu’il avait emprunté à son père Hélios (le soleil). En grec, Phaéton veut dire le brillant, comme le diamant qui est du carbone pur et qui symbolise, aussi, la pierre cachée en nous.
Autour de ce feu métaphysique des objets en graphite et en cristal viendront scander l’exposition, un ensemble de silex taillés, un grand couteau, une gomme, une lampe d’Aladin, une vis et son boulon, un morceau de fil de fer barbelé, et des clous. Chez Yazid Oulab, le clou est ce qui relie, il est aussi l’Alif. Alif est en arabe la première lettre de l’alphabet et la première syllabe du verbe «lire, apprendre». Alifs tridimensionnels, les clous de cristal ou de graphite présentés ici matérialisent cette force divine descendant des cieux pour dicter la parole et instruire les hommes. La parole étant ce qui sert à s’élever, les métonymies que l’artiste choisit prennent la forme de chaînes, d’échelles ou d’échafaudages. Cette fois, il a opté pour des prises d’escalade en céramique. Profilées comme des orants, elles sont fixées au mur de la galerie à l’instar de ces structures artificielles d’escalade (SAE) que l’on connaît. Elles seront utilisables et permettront à l’ascensionniste éventuel de se hisser au sommet de la corniche qui surplombe la galerie. On devine sans peine qu’il s’agit d’une métaphore et que la pratique attendue est tout autant physique que spirituelle, et nous rappelle la fameuse phrase de Edward
Whymper : «là où il y a une volonté, il y a un chemin».