Zoulikha Bouabdellah
L’envers et l’endroit
Albert Camus, dans son premier livre L’envers et l’endroit, auquel l’artiste se réfère, défend l’idée d’une littérature nourrie par l’existence, une littérature où s’articule en permanence l’acceptation du monde et sa contestation.
Cette ambivalence se retrouve au centre de l’exposition dont l’installation, Silence, en inaugure la première dialectique, sans doute la plus fondamentale: la relation entre le sacré et le profane, que Mircea Eliade voyait comme la matrice de l’humanité et que Zoulikha Bouabdellah imagine sous la forme de 30 tapis de prières découpés (100 x 70 cm). Chaque tapis accueille en son centre une paire d’escarpins dorés dont les talons reposent au sol à travers un trou, symbole des rapports entre le sacré et le profane.
Entre respect de la tradition religieuse et fantasme d’occidentalisation, Silence interroge le rapport des femmes à la religion et leur capacité à s’inventer, à l’intérieur d’un cadre figé, des espaces de liberté.
Cet aller-retour entre l’envers et l’endroit est aussi à l’origine du mobile Rasoir (300 cm de diamètre) et de la série Les Couteaux (un ensemble de six lames ciselées). Initialement construit pour un enfant, les extrémités d’un mobile d’acier portent des lames tranchantes, tandis que des couteaux se prolongent en des motifs végétaux mortifères. Inquiétantes et hypnotiques, ces œuvres portent en elles l’ADN d’un monde victime de ses retournements, errements et contradictions.
Avec l’ensemble Erotic Cuttings, Zoulikha Bouabdellah présente des collages (20 x 20 cm) de magazines pornographiques qui réduisent les corps en lambeaux et dont les membres ne subsistent qu’à travers des traces découpées, au hasard, selon des motifs orientaux. Passée du statut de pulsion à celui de pur objet, la sexualité engendre aujourd’hui les névroses les mieux partagées au monde. L’acte sexuel se présente désormais à travers des images et des discours performatifs dont la surabondance brouille toute possibilité de lecture et prolonge l’insatisfaction du voyeur.
Il est aussi question de multiplication et de perte de sens avec Nus (75 x 130 cm), une série de collages qui empruntent des morceaux de tableaux célèbres, et avec Mosquée(s). Sur trois formats volumétriques différents, Zoulikha Bouabdellah propose ici des assemblages de bâtiments religieux dont elle ne conserve que les silhouettes. En surimpression, leurs contours forment un jeu de mirage optique, une vibration visuelle qui dépouille les édifices de leur stature idéologique.
Questionnant l’interaction entre les images et la voix, la vidéo Perfection Takes Time (4 minutes) montre le corps d’une femme qui danse au Yémen. Elle est voilée et sa gestuelle est ponctuée par le scintillement de paillettes incrustées sur le tissu qui recouvre sa tête. Sa danse est pure, libre, parfaite. Mais une voix raconte une histoire bien différente…
Née en 1977 à Moscou, Zoulikha Bouabdellah a grandi à Alger avant de rejoindre la France en 1993 en raison de la guerre civile. De cette identité plurielle, l’artiste puise les fondements d’un travail qui se construit autour de la transgression, de l’humour et de la subversion. Sous la forme d’installations, de vidéos ou de photographies, ses œuvres interrogent nos représentations dominantes, qu’elles soient politiques, sociales, morales, religieuses et formelles.
Vernissage
Samedi 19 avril 2014