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L’Entre-Images. Photo, cinéma, vidéo

Réédition d’un vaste essai précis et très documenté tiré d’un constat : le glissement des images d’une discipline à l’autre. Analyse autour de trois genres représentatifs de l’idée du « passage » : cinéma, vidéo, photo (rapport à la télévision, photographie en mouvement, visées cinématographiques de la vidéo, etc.).

— Éditeur : La Différence, Paris
— Collection : Les Essais
— Année : 2002
— Format : 25 x 15 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 349
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-7291-1434-3
— Prix : 25 €

L’Entre-Images
par Raymond Bellour (extrait, pp. 15 à 17)

Les textes rassemblés ici ont été pour une part, d’abord, de circonstance, liés à la découverte de la vidéo, comme à un intérêt pour les rapports entre cinéma et photographie. Ils ont été ensuite (à partir de 1987 et de « L’interruption, l’instant »), bien que publiés d’abord en revue, conçus comme faisant partie d’un plan d’ensemble dont l’esquisse se confirmait. Cela ne veut pas dire qu’ils formeraient autant de chapitres organiques d’un livre écrit d’une coulée. En témoignent les répétitions inévitables, les reprises, de questions et d’auteurs, que je n’ai pas voulu minimiser (certaines des œuvres abordées étaient souvent trop peu connues, ceci pouvait pallier cela) — pas plus que je n’ai réécrit les textes, tout juste retouchés, pour la plupart, avec quelques notes additives. Il s’agit d’autre part, cela est clair, de prélèvements, à l’intérieur d’un champ qu’il n’est pas question d’épuiser ni même d’ordonner. Tel quel, ce recueil espère pourtant composer une image suffisante de l’univers sensible et logique qu’il m’a semblé voir naître.

Les trois textes réunis au départ sont autant d’introductions. Le premier fait transition avec « l’analyse du film », mon terrain d’origine. Le second, consacré à Thierry Kuntzel, date d’une relation proche avec son œuvre ma découverte de la vidéo. Le troisième situe l’art vidéo dans son rapport incontournable avec la télévision.

La seconde section est tout entière du côté de ce que j’ai nommé la première face de l’expérience. Photographie et cinéma, si l’on veut: le cinéma saisi par la photographie (le photographique), avec le mouvement inverse, esquissé à partir de la photo. Mais les quelques pages sur Sauve qui peut (la vie), par exemple, suggèrent que l’expérience a deux faces, et que l’une ne va pas sans l’autre.

La troisième section aborde donc la transformation de l’analogie photographique par la vidéo, essentiellement dans trois œuvres clef qui font charnière entre cinéma et vidéo (La Peinture cubiste de Philippe Grandrieux et Thierry Kuntzel, Numéro deux de Godard, Le Mystère d’Oberwald d’Antonioni). Mais la troisième étude, consacrée à une seule bande (The Art of Memory de Woody Vasulka), montre comment les deux faces de l’expérience travaillent, indissolublement, une même œuvre.

La quatrième section rassemble quatre installations. L’installation est dans l’art vidéo le seul espace qui échappe à la diffusion télévisée, appartient à la galerie et au musée. C’est aussi, par excellence, le lieu d’une mixité d’expérience dans laquelle s’incarne ce nouveau corps d’image prescrit par les transformations que nous vivons. Le spectateur de l’installation est un promeneur, d’autant plus sensible aux passages entre les images que son propre corps passe parfois dans l’image, et qu’il circule entre des images.

Les trois textes de fin, consacrés (surtout) à la vidéo, ont ceci de particulier qu’ils retraversent en un sens tout ce qui précède, pour témoigner d’une dimension que l’art vidéo a contribué à accentuer. Il rejoint par là une évolution du cinéma à laquelle il participe en aidant celui-ci à se transformer, et en œuvrant de sorte à retrouver d’autant mieux une voie jusque-là surtout propre à l’expérience littéraire : c’est la dimension de l’intime, du subjectif, de l’autobiographique, mais aussi une certaine forme de réflexion et d’essai, qui se rassemble autour du mot d’autoportrait.

Des trois termes qui composent le sous-titre de ce recueil: photo, cinéma, vidéo, je dirais, enfin, ceci. La photo (peu considérée ici en tant qu’art) apparaît surtout à la fois comme la plus petite unité décomposable de l’image soumise au défilement (donc comme photogramme) et l’effigie d’une dispersion planétaire qui la fait être partout et toujours ce fragment d’iconicité irréductible attaché à toute vie. Elle est donc d’autant plus prégnante que s’accroît et s’accélère la circulation des images dont elle figure inlassablement l’index immobile. C’est là ce qu’on entend, aussi, dans la rêverie de Robert Frank [« …précisément parce que mes photos flottent dans le courant de ma vie normale — dans le film que je me propose de faire, ces photos deviendront pauses dans le flux de la pellicule, brèches pour souffler un peu, fenêtres sur un autre temps, sur d’autres lieux ». « J’aimerai faire un film… », Robert Franck, in préface à Robert Franck, Photo-poche, Paris : Centre national de la Photographie, 1983]. À l’opposé, la vidéo, largement abordée comme art propre, doit cependant être comprise du point de vue de ce qu’elle représentera, je crois, avant tout, historiquement: un lieu de passage et un système de transformations des images les unes dans les autres : celles qui la précèdent, peinture, photo et cinéma; celles qu’elle-même produit; enfin celles qu’elle introduit, « les nouvelles images », dont elle est à la fois partie prenante et constitue déjà une sorte de préhistoire. Enfin, entre photo et vidéo, il y a le cinéma, cet art un peu ancien, d’autant plus travaillé par la photo qui le ramène comme en deça de lui-même que la vidéo l’a saisi et le projette dans un au-delà où il est difficile de savoir ce qu’il deviendra. Il peut aussi choisir de s’en tenir à ce qu’il croit être encore en lui-même, ne serait-ce que parce qu’il l’a longtemps été. Mais, même ainsi, comme creusé de l’intérieur, cerné par les nouvelles forces qui l’irriguent, on voit bien qu’il ne cesse de se transformer.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des Éditions de la Différence)

L’auteur
Raymond Bellour, né en 1939, est chercheur au CNRS, écrivain, critique et théoricien de la littérature et du cinéma. Il est un des fondateurs de la revue de cinéma Trafic. Il a publié Mademoiselle Guillotine, Oubli et Partages de l’ombre aux Éditions de la Différence.

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