Gerhard Klocker
L’ennui
Une parfaite journée au bord de la mer. Une parfaite journée dans l’atelier de l’artiste. Gerhard Klocker nous présente des distillats, qui ne pouvaient être plus intenses, plus entiers. Doté d’un regard ingénieux et inspiré d’une heure magnifique où la lumière de la mer, celle du ciel et du sable prennent presque la même intensité et commencent à virer au monochrome, il arrête le temps et nous propose des moments de repos, des pauses. La série de 9 photographies, intitulée L’ennui s’est élaborée dans les heures de l’après-midi ensoleillé d’un mois de septembre, sur les côtes de la mer ligurienne, pas loin de la frontière française. L’ennui est-il inhérent à la nature humaine, ou présente-t-il plutôt un manque? Et si oui, lequel? Le manque d’un verbe peut-être?
Gerhard Klocker fait de l’ennui l’un des plus beaux, des plus judicieux et des plus nobles substantifs que l’on peut imaginer. Ce n’est pas l’ennui d’un dimanche après-midi terne et insipide, c’est l’ennui en tant que plaisir.
À l’opposé de la pensée de Schopenhauer — pour qui le bonheur signifie l’absence d’ennui —, ici l’ennui signifie un état de bonheur permanent. Les photographies de l’artiste montrent, quoique de manières différentes, des échappatoires, des issues à l’effervescence d’une inexorable et implacable consommation. Elles contribuent fortement à la décélération du monde. Elles nous libèrent doucement des mythes anciens et nouveaux et nous transmettent une notion du temps presque indescriptible. Les verbes se réduisent, l’activité physique et la tension s’atténuent, les facultés intellectuelles et sensorielles se trouvent sous cloche et tout semble étrangement déplacé. Ainsi ces oeuvres contemplatives révèlent une dimension qui touche au principe ultime d’existence humaine.
La dimension émouvante des travaux de Gerhard Klocker ne se situe non dans l’émotivité spécieuse d’un regard unique, mais plutôt dans leur aspect profondément humain: ces oeuvres retracent la fatalité, l’inévitable détérioration, la fragilité et la vulnérabilité; et avec leurs poids elles résistent à la monotonie, à l’abrutissement, à l’esprit borné et à «l’ennui mortel». C’est comme si l’artiste voulait dépouiller le monde de sa gravité, de son profond sérieux et lui rendre la légèreté qu’il portait déjà et depuis toujours en lui.
On a le sentiment de regarder, comme à travers une fenêtre, quelque chose où les dissonances de ce monde se fondent dans une harmonie, une sereine gaîté.