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Lendemain chagrin. Quatre photographes taïwanais

03 Fév - 27 Mar 2016
Vernissage le 03 Fév 2016

Les clichés des quatre photographes taïwanais réunis dans cette exposition parlent des blessures infligées à la société taïwanaise par une industrialisation massive, ou par la férocité des catastrophes naturelles en pays tropical.

Hung Cheng-Jen, Yao Jui-Chung, Chen Po-I, Yang Shun-Fa
Lendemain chagrin. Quatre photographes taïwanais

A travers la sélection de quatre photographes taïwanais, c’est une disposition à la réflexion sociale et à ses échos spirituels, propre à ce pays à la fois moderniste et traditionnel, que les commissaires de l’exposition ont voulu sonder. Car ces photographies parlent surtout des blessures infligées à la société par une industrialisation massive, ou par la férocité des catastrophes naturelles en pays tropical. Elles portent un point de vue sur un état d’esprit, sur une désillusion sourde qui fait pendant à une apparence habituellement paisible et joviale de la population.

Les lendemains qui déchantent — lendemain chagrin — laissent aussi apparaître une spiritualité qui convoque à tout moment les disparus et leurs ombres. Cette manière distancée, sensible et subtile de dire les choses tragiques et d’évoquer des émotions sans les montrer de front, fait l’homogénéité de la présentation de ces artistes taïwanais. Et elle nous renvoie aussi très directement à nos propres appréhensions et détresses.

L’ascension économique de Taïwan depuis les années 1980, portée par la production des composants informatiques et par les nouvelles technologies, est dans toutes les mémoires (le «made in Taiwan» avant le «made in China»).

Mais l’installation d’un nouveau port industriel et pétrolier — terminal de containers — dans la grande ville de Kaohsiung (trois millions d’habitants) entraîne la disparition du port ancien et du village de pêcheurs de Hongmaogang. C’est de cette destruction planifiée, effective en 2006, que parlent les deux artistes Yang Shun-Fa et Hung Cheng-Jen, qui ont accompagné depuis deux décennies, à la fois la lutte des populations pour garder leur lieu de vie, puis la souffrance de l’abandon forcé et de l’annihilation des souvenirs.

Yang Shun-Fa reconstitue dans les habitations désertées une forme de vie en accumulant les objets, qui sont les indices d’une présence humaine passée, visiblement anéantie; il s’intéresse particulièrement aux photographies laissées derrière eux par les occupants. Son travail en format panoramique (Home and Rootless), d’abord en noir et blanc volontairement ténébreux s’est ensuite développé en couleur pour manifester visuellement le traumatisme des sentiments. Le «réalisme fantastique» de ses images se prête à l’évocation de la vie et de la mémoire.

Hung Cheng-Jen excelle dans le photomontage en relief, une technique qui lui est très personnelle, assemblant des fragments de ses tirages photographiques, qui lui  permettent de restituer des vues partiellement réelles et fictives du village, en ajoutant des personnages ou sa propre présence, afin d’exprimer avec force la désolation, l’effroi, l’angoisse de la déshumanisation des relations, sans compter le courroux des dieux (Place of Melancholy).

Les catastrophes naturelles rythment la vie de Taïwan. Le typhon Morakot fit plusieurs centaines de victimes en août 2009 en provoquant un torrent de boue qui a enseveli maisons et habitants d’un village. Chen Po-I, de retour sur les lieux après déblaiement, ne montre que les traces insolites, sur les murs des habitations, de cette boue dévastatrice, dont la violence est visible dans des formes déchiquetées.

Deux autres séries de Chen Po-I se concentrent sur la signification des traces: celles que laissent sur leurs vêtements de protection des pétards et feux d’artifice tirés à bout portant auxquels s’exposent volontairement les participants d’une cérémonie ancestrale (Firework Baptist); les formes suggestives des fientes d’oiseaux sur des galets de bord de mer (Stone Age) seraient a priori plus attrayantes, mais ce sont encore les fantômes qui surgissent (toujours très présents dans la culture taïwanaise).

Yao Jui-Chung a systématiquement exploré des sites en ruine, depuis plus de vingt ans. Ruines de parcs d’attraction, de bâtiments militaires, d’usines, tous ces lieux en décrépitude qui sont victimes de décisions arbitraires, de faillites, de délocalisations industrielles. Le temps y défait lentement des structures mais s’y accumule aussi en de nouvelles strates, végétales, minérales, organiques, parfois proliférantes. Chaque lieu se prête à une autre histoire, imaginaire, il prend une nouvelle signification, avec laquelle l’esprit de l’artiste (et celui du regardeur) entre en résonance, jusqu’à révéler en soi-même «un esprit solitaire presque abandonné» (Yao Jui-Chung).

Michel Frizot et Su Ying-Lung, commissaires de l’exposition

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