Six blocs industriels massifs occupent l’espace principal de la galerie — trois posés à même le sol, trois montés sur des pieds. Leur présence compacte s’impose à nous, comme des rocs inébranlables. Pourtant ces blocs ont été récupérés dans des caves, des fermes ou des maisons, et ont été ramenés jusqu’à la galerie. Il s’agit en réalité de cuves de fioul, qui servaient, il n’y a pas si longtemps encore, à chauffer des espaces habitables. Aujourd’hui, ils ont donc été arrachés à leur lieu d’origine ainsi qu’à leur fonction — ou même à leur raison d’être, serait-on tenté de dire.
Ces objets ont donc perdu leur utilité, et le caractère proprement pratique qui les définissait. Néanmoins, on peut encore leur prêter quelques attributs plastiques. En effet, les cuves sont de gros cubes ou des parallélépipèdes de couleurs différentes (vert, bleu, orange, gris ou noir), faits de tôle qui aura été altérée et corrompue par le temps et l’humidité. Ainsi, si les cuves n’occupent plus leur fonction de stockage d’un liquide, elles gardent certains traits matériels caractéristiques. En ce sens, elles se détachent des œuvres minimales qui tendent à faire abstraction de toute matérialité. Car ce qui frappe en premier lieu ici, c’est justement l’aspect imposant des blocs, leur manière de remplir l’espace et de s’affirmer robustement, ainsi que la tôle rouillée dont ils se composent.
Les cuves portent en leur surface les vestiges de leur histoire et des altérations successives qui les auront abîmées. Elles nous font alors penser à des œuvres Ready-made, en ce qu’il semble qu’elles aient juste été déplacées de leur lieu d’origine, et présentées au regard des spectateurs telles quelles, sans subir aucune transformation. Cependant, nous remarquons qu’elles ont été bouchées et condamnées, ne dégageant ainsi aucune odeur, et ne laissant dégouliner aucune goutte de fioul.
Considérées comme des objets indispensables au confort moderne d’une maison ou d’une ferme, les cuves sont un jour devenues d’immenses carcasses inutiles et encombrantes, hantant les caves des foyers. Ici, Simon Boudvin les sort des ténèbres et leur donne une dimension esthétique surprenante, tout en pastichant l’art minimal ou le Ready-made.
Les châteaux d’eau quant à eux, ont connu un destin un peu plus heureux, puisqu’ils ont été recyclés en habitations ou en sièges sociaux notamment. Ils n’ont été ni rasés, ni condamnés à l’oubli. Leur silhouette étrange détonne toutefois dans le paysage urbain et les quartiers résidentiels.
Les châteaux d’eau ne demeurent donc pas enclavés, et se trouvent géographiquement intégrés au reste des constructions, mitoyens de maisons ou d’immeubles. Plus étonnant, certains sont devenus des hôtels-restaurants, ou sont parfois raccordés à d’autres bâtiments. S’ils sont obsolètes, en ne servant plus au stockage de l’eau, leur héritage est en un sens assumé, puisqu’ils ont été transformés et réhabilités dans l’urbanisme.
Dernière curiosité enfin, un ensemble de photographies argentiques représente des échelles que Simon Boudvin aura croisées lors de son passage au village de Poncé-sur-le-Loir. On les retrouve dans toutes les configurations possibles: debout, contre un arbre ou un mur, prêtes à l’emploi, appuyées sur une poutre, en stand-by, ou accrochées à un mur. Il y en a des longues, des courtes, certaines faites de bois, d’autres d’acier… on trouve même un escabeau. Chacune trône dans un vaste bazar fait de bric et de broc. On y perçoit des outils agricoles, des véhicules, des bidons, des tuyaux, des caisses à outils. Tout ceci constitue un univers foisonnant et désordonné, celui des dépendances ou des cagibis.
Simon Boudvin nous apprend justement que ces échelles servent à restaurer les toitures des dépendances qui les abritent. Ce sont des outils de réparation pour sauver des lieux tombant en désuétude. Pourtant, on relève comme un paradoxe: il s’agit de sauver des lieux qui ne servent plus, auxquels on prête seulement attention lorsqu’ils s’affaissent ou se désagrègent. Et les dépendances ne couvrent qu’un amas d’objets dont on ne se sert quasiment plus, mais dont pour autant, on n’ose pas se débarrasser définitivement.