L’œil est d’abord attiré par un scintillant monochrome gris. La toile de grand format est recouverte de peinture acrylique et de myriades de paillettes. Ce morceau de ciel étoilé à portée de main fascine: Static est littéralement «léger comme l’air». Le ton est donné: contre l’esprit de sérieux d’une certaine peinture formaliste, le travail de Jacin Giordano est à la fois un jeu détonnant des matières et une immersion dans un monde cosmique et merveilleux.
Cette proposition double est précisément l’enjeu de Harpoon(For Hunting Rainbows) à proximité de Static. Les couleurs et les textures étranges se combinent sous la forme d’un objet magique. Ce harpon surdimensionné, en forme d’arc, est recouvert de petites boules de laine blanche, de taches multicolores et de paillettes. Quels codes secrets régissent cet agencement minutieux? Seul l’initié chasse les arcs-en-ciel: un monde extraordinaire se tisse sous nos yeux.
Et ce n’est pas la seule vertu de ce totem: au-delà de l’ornementation, ses couleurs et ses matières reprennent de façon éparse et fragmentaire celles des autres œuvres (Black Rain, The Rainbow’s End # 5 et # 6). Cette palette oblongue, féerique et synthétique réfléchit l’ensemble des pièces.
Une autre sculpture, Paint Bucket # 5 (The Entire Universe), posée au sol, reprend le même principe sous l’aspect d’un seau de peinture transfiguré. C’est ici la pratique artistique elle-même qui est évoquée: le réceptacle à l’intérieur tapissé de paillettes et orné de bouts de crayons de couleurs contient l’univers et toutes les virtualités de la peinture.
Les deux autres grands monochromes Machine et Wall (When Gravity Succeeds), l’un blanc et l’autre noir, en sont la preuve. Le premier est inachevé. De larges bandes d’acrylique blanc, composées de carrés, sont juxtaposées verticalement. La dernière bande est tronquée d’une façon radicale qui inquiète.
Mais ce bout de réserve blanche fait affleurer des histoires d’un autre temps, celles de la fabrication du monochrome. De discrètes taches de couleurs font soupçonner l’existence d’une peinture chamarrée et explosive sous les couches apparentes.
Histoires de temps, mais aussi de matières et de gestes. Wall (When Gravity Succeeds) fait littéralement tomber la peinture soumise aux lois de la gravité: en haut du tableau, un rectangle noir est vidé de sa matière coulante. Avec Knot Drip Painting, Jacin Giordano pratique un drôle de dripping fait de laine blanche et noire.
Non sans humour, Jacin Giordano donne le mot de la fin: sur la petite toile The End de grosses coulées de peinture noire semblent sur le point de recouvrir entièrement des lignes de fuite dessinées au crayon de bois, ce paradigme de l’esquisse.
Jacin Giordano
— Knot Painting (When Gravity Fails), 2006. Acrylique et laine sur bois. 152 x 122 cm.
— Knot Drip Painting, 2006. Laine sur toile. 30 x 25 cm.
— Machine, 2006. Acrylique sur bois. 122 x 152 cm.
— Static, 2006. Acrylique et paillettes sur bois. 152 x 122 cm.
— The End, 2006. Acrylique et crayon sur bois. 40 x 50 cm.
— The Rainbow’s End #5, 2006. Acrylique sur bois. 50 x 40 cm.
— The Rainbow’s End #6, 2006. Acrylique sur bois. 50 x 40 cm.
— Wall (When Gravity Succeeds), 2006. Acrylique, laine et paillette sur toile. 152 x 122 cm.
— Drip Painting, 2006. Acrylique sur bois. 122 x 92 cm.
— Black Rain, 2006. Acrylique sur bois. 50 x 40 cm.
— Untitled (White Drips), 2006. Acrylique sur toile. 50 x 40 cm.
— Paint Bucket #5 (The Entire Universe), 2006. Acrylique, paillette, laine et crayon peints.
— Harpoon (for Hunting Rainbows) , 2006. Acrylique, paillette, métal et laine. 107 cm.
— White Hole, 2006. Acrylique. 83 cm.