Lee Ufan
Lee Ufan
L’extrême simplicité formelle de l’Å“uvre de Lee Ufan (né en 1936 à Haman-gun en Corée-du-Sud) intrigue au même titre que sa sophistication théorique. «Art de la rencontre» selon sa propre expression, son Å“uvre articule les traces picturales, la pierre, le métal, le verre, l’ombre et la lumière. Ce vocabulaire fait de différences et de répétitions le place à côté mais à distance des plus grands noms du minimalisme.
Lee Ufan travaille à la maîtrise des fondamentaux d’une culture universelle où l’espace, les éléments de la nature, les matériaux se rapprochent et révèlent la présence a minima de l’homme, de l’artiste. Son éducation coréenne, ses études et son installation au Japon, sa culture philosophique, sa position de théoricien, sa profonde connaissance de la philosophie européenne acquise à travers l’étude de Heidegger, son nomadisme d’artiste entre le Japon, la France, l’Allemagne, l’Europe en général et les États-Unis, l’ont convaincu que son Å“uvre devait correspondre à son «être au monde» au-delà de la traduction d’une quelconque appartenance nationale. En juin 2011, pour son exposition au Musée Guggenheim de New York, Lee Ufan concluait son discours de présentation, par la formule: «Ce que nous voyons ici est une question posée à l’idée de civilisation», définissant ainsi l’ambition de son Å“uvre.
Alors qu’il est déjà philosophe et théoricien, militant de la réunification de la Corée, Lee Ufan constate que le signe artistique a plus de présence et d’efficacité que le texte par la vitesse de sa diffusion et l’impression qu’il laisse dans la mémoire collective.
Théoricien puis acteur dans les performances liées au Mono Ha (l’École des Choses, 1968-1973), Lee Ufan accepte d’être artiste en bousculant les valeurs de son éducation traditionnelle où la pratique de l’art n’est considérée que comme un accompagnement de la formation d’un lettré, et jamais comme un statut social. Lee Ufan parle encore aujourd’hui de la «honte» d’être artiste.
Ce renoncement, cette mutation, devait ainsi dans son esprit se transformer en ambition dans un propos à valeur universelle dont la diffusion serait aussi radicale, simple et directe que celle de la musique. Lee Ufan porte ainsi depuis la fin des années soixante un projet global dont la traduction en peinture ou en sculpture est faite de différences et de répétitions.
Les matériaux, les formes engagées, le titre des séries, se comptent sur les doigts des deux mains. Peu de gestes, peu de mouvements visibles, un lien aux principes de la nature, une économie logique de la pensée, la maîtrise de la complexité, le sentiment de l’espace et plus que tout, la conscience aiguë d’une responsabilité historique et morale fondent son Å“uvre.
Entre les individus et le monde, entre les êtres et les choses, la rencontre — concept fondamental dans l’Å“uvre de Lee Ufan — est propre à produire l’expression d’une pensée, d’un geste capable de dire quelque chose de l’humanité et propre à produire de la civilisation.
Un titre permanent, «Relatum», accompagne chacun de ses gestes de sculpteur. Papier, roche, métal, verre, espace s’articulent dans l’événement de la Rencontre ou de la Relation.
Sculpter consiste pour Lee Ufan à ne rien enlever, à ne rien ajouter à l’existant mais à choisir et à provoquer la «rencontre». Les éléments de l’événement sont «cueillis» dans la nature et choisis dans le stock industriel. Une obsession de l’Å“uvre est de ne pas participer à la production des objets qui encombrent le monde et poubellisent l’espace naturel. Le «système» Lee Ufan, impressionnant par sa rigueur, consiste à ne pas agir en dehors de ce qui est déjà là , suffisant dans une sorte de logique cistercienne, pour traduire et explorer l’essentiel de la condition humaine.
Peindre chez Lee Ufan est une pratique, un parcours développé en sept titres à ce jour: From Point, From Line, East Winds, From Winds, With Winds, Relatum, Correspondance… Eloignée de toute considération expressive, de tout désir de traduire une position de l’ego ou un quelconque fait de psychologie, l’Å“uvre picturale de Lee Ufan s’incarne dans la pratique d’un geste où le corps en apnée n’est disposé que pour ce geste, et exerce une intervention figurée a minima par des traces jusqu’à l’épuisement de la couleur sur le pinceau dans l’espace. La rencontre à nouveau s’organise entre le déjà là de l’espace et l’inframince du tableau parfois assimilé au mur même, et ouvrant dans l’architecture des espaces de méditation.
La déambulation des visiteurs induite par les propositions picturales et sculpturales de Lee Ufan, au sein de la galerie Kamel Mennour, invite à pratiquer cette «cueillette» chère à l’artiste et capable de résoudre les bipolarités, les oppositions, les hiérarchisations brutales au profit d’un sentiment de plénitude.
Michel Enrici
Vernissage
Mercredi 6 novembre 2013