La diffusion du témoignage vidéo de la représentante de la « danse libre » Elisabeth Schwartz a permis d’aborder la question de la variété des appuis du corps ainsi que celle de la fluidité du geste (opposée à son arrêt qui peut être ressenti de manière phobique), que la chorégraphe a associée à la figure mathématique de la lemniscate de Bernoulli, une courbe plane, en huit renversé, se parcourant sans fin, qui est devenue le symbole de l’infini.
L’exploration du corps, de son enveloppe jusqu’aux muscles les plus profonds, des sensations diverses, des pensées volantes, des forces obscures qui sont à l’œuvre, jour et nuit, est somme toute le lot quotidien du danseur, de la danseuse. On évoque l’auto-observation, comme on parlait il y a quelques décennies d’auto-analyse — l’interprète devient alors, selon Patricia Kuypers, son propre « cobbaye ». Cette recherche intime de l’infime s’affine avec le temps, et peut s’enrichir d’autres pratiques comme la danse-contact ou le yoga.
Un peu plus d’une heure durant, la danseuse s’est donc livrée à des exercices on ne peut plus simples. Elle s’est montrée à l’écoute d’elle-même et — une fois défini le cadre spatial et celui du temps disponible — a perçu l’environnement particulier du studio 1 du Cnd, ses bruits parasites, le léger ronflement d’une sono jamais totalement muette, la soufflerie de la climatisation, la respiration des autres danseurs… Elle a invité les spectateurs à participer aux exercices, à se concentrer durant quelques minutes sur eux-mêmes, puis à coucher par écrit leurs impressions. Et à en débattre publiquement.
Parmi les participants se trouvaient notamment Jean-Marc Granet Bouffartigue et Rachel Spengler, les hôtes du lieu, Clara, une brillante étudiante en danse de Paris-VIII, Xavier Baert, cinéaste expérimental et programmateur de films, les chorégraphes Véronique Albert et Christine Graz… Nous avons admiré l’aisance avec laquelle certains sont alors passés du statut de spectateur à celui d’acteur, en entrant sur la scène métaphorique mais réelle délimitée par quelques tapis de danse et en faisant abstraction du monde extérieur afin de pouvoir se livrer pleinement à cet exercice de méditation. Avant de se remémorer avec une précision diabolique les états de corps intermédiaires, bref, leus moindres faits et gestes.
Les termes débattus se sont mis à bouger en tous sens. « On peut jouer avec les mots comme on joue avec les gestes », a dit une participante assez philosophe, tandis qu’une autre a usé de l’allégorique « langue du corps ». On a évoqué la notion de « décrochement » qui permet de passer d’un point de vue à un autre, de déconstruire une danse vécue de l’intérieur par son interprète. On a parlé de « petites danses », c.à .d. de ces différents ajustements ou micro-agencements auxquels se livre constamment le corps, la plupart du temps à notre insu, des tensions qui s’installent, des divers stimuli qui nous traversent, d’intérêt « kinesthésique », de relâchement, de déconnexion.
On a également qualifié certains concepts de « corporels ». On a rappelé les stratégies en matière d’observation, notamment de l’observation à deux, où l’un improvise tandis que l’autre observe et, l’observant, dit ce qu’il voit, à voix basse pour ne pas le perturber dans son mouvement. On a associé l’improvisation à l’anticipation qui, généralement, va avec. On a aussi abordé la question de la modulation de l’écoute et celle du mode d’attention — pour certains spécialistes, celle-ci dure en moyenne… quatre secondes.
Bref, en si peu de temps, mine de rien, on n’a pas vraiment chômé.