Aurélien Froment, Alexis Guillier, Louise Hervé, Chloé Maillet, Benjamin Seror
L’écho des précédents
Depuis quelques temps, Alexis Guillier s’est lancé dans une enquête sur l’accident survenu sur le tournage du film Twilight Zone, réalisé en 1983 par John Landis. Alors qu’il tourne une scène dans la rivière artificielle d’un village vietnamien reconstitué, un pilote d’hélicoptère perd le contrôle de son appareil dans un déluge d’explosions entraînant la mort de trois acteurs.
Alexis Guillier explore, entre autres, la portée de cet événement alors très médiatisé, dans la filmographie du réalisateur chez qui l’horreur se décline en jeu sur la réalité et la fiction. Mais c’est aussi vers les résonances de l’accident dans le marketing du film, la façon de rendre compte d’un tel événement et de nombreuses autres pistes, encore en traitement, qu’ouvre ce travail en cours. De fait, lorsque la fiction entre en collision avec le réel, les interprétations s’emballent. Car il n’est pas question ici de formuler un point de vue unique et définitif mais bien d’éclairer les multiples facettes d’un phénomène.
En s’autorisant cette diversité, il peut arriver de passer d’un registre à un autre et d’exploiter des sources apparemment inconciliables. Cela conduit parfois à des lectures contradictoires qui rendent d’autant plus étrange l’objet étudié. C’est cette méthode qu’exploitent Louise Hervé et Chloé Maillet pour leur diaporama Un traité des bains. Leur exposé a comme point de départ l’explication des raisons et des circonstances dans lesquelles des ex-voto gallo-romains ont été retrouvés intacts dans des sources thermales. Mais il a tout du teaser de science-fiction, dans la forme comme dans le propos, car on y croise aussi des considérations sur les bienfaits des thermes sur le corps humain, les mutations qu’elles pourraient engendrer et les menaces qui en découleraient.
Cet amalgame de références provenant de champs divers s’appuie sur l’invention d’une langue tour à tour spécialiste et généraliste, scientifique et vulgarisatrice, distante et sensationnelle. L’entremêlement de savoirs et de discours provenant de registres divers fait naître une forme d’énonciation qui se refuse à la posture docte du spécialiste pour mieux hybrider son expression et ses méthodes. Ainsi, l’objet étudié et les conclusions à son sujet peuvent, d’un instant à l’autre, se transformer selon la façon dont on les aborde.
Benjamin Seror est habitué à ces phénomènes. Sa série de maquettes réunies sous le titre de L’écomusée de l’homme moderne a comme point de départ le Modulor inventé par Le Corbusier. Pour définir la taille standard d’un être humain, il s’appuya sur celle du héros d’un roman policier. Cette inscription dans la fiction pour définir des outils avec lesquels appréhender le réel est la méthode qu’exploite Benjamin Seror. Ses maquettes représentent des objets ou situations, accompagnées de textes qui en proposent une lecture. On y découvre, par exemple, des transmetteurs de pensées à distance, une maquette pliable de poche, le plus beau présentoir à chaussures de New York ou un espace pour fumer. Les textes, eux, formulent des interprétations et des fables qui font de ces installations des sortes de théâtres pour la pensée et l’imagination.
Si L’écomusée de l’homme moderne propose des histoires et invite les spectateurs à l’interprétation, on retrouve cette sollicitation dans le puzzle que propose Aurélien Froment. Ses pièces, posées sur une table, peuvent être manipulées pour recomposer les peintures de scènes de genre reproduites sur le recto et le verso. D’un côté des hommes sont attablés autour d’un jeu d’échecs, de l’autre c’est presque la même table qui réunit des femmes et de jeunes enfants. Si ces images renvoient à la position dans laquelle on les consulte, c’est le geste de les recomposer, et éventuellement de les mêler, qui en caractérise la consultation. Là encore le démembrement et la combinaison sont convoqués, en acte. Car les principes de relecture et d’interprétation s’appuient sur le déplacement qu’ont subi ces peintures, devenues reproductions puis puzzles et enfin pièces éparses à reconfigurer. Les changements de registres apparaissent ici sous une forme tangible et l’interprétation se fait jeu. Ces déplacements de formes et de registres d’informations correspondent à notre accès actuel aux savoirs.
Toutes les lectures produites restant toujours accessibles, tout objet d’étude se présente enseveli sous de nombreuses couches interprétatives. Plus aucune définition ne peut se prétendre stable et définitive. Chaque objet est un signe dont le sens peut être altéré selon le contexte dans lequel il est lu. Dans ce territoire mouvant, l’interprétation d’un objet n’est pas la recherche d’une signification unique mais s’invente comme une navigation au travers des multiples couches dont il est déjà paré. Et si la langue qui la formule est hybride c’est parce qu’elle n’appartient à personne et se tisse de celles qui l’ont précédée.