Gilles Verneret
Avec les textes d’Anton Posset
Le voyage de Nuremberg, sur les traces du 3e Reich
Je connaissais Hermann Hesse pour avoir lu dans ma jeunesse Le loup des steppes et Siddharta, et ce n’est qu’au début des années 2000, que je tombais par hasard sur Le voyage à Nuremberg. Je fus séduit par son ton résolument moderne et ses fines notations psychologiques relevant d’un bon sens, que j’associais à l’esprit allemand. Je décidais alors de retourner sur les traces de l’écrivain et m’en ouvris alors en 2002, au directeur du Goethe Institut de Lyon qui accepta le projet, mais ce dernier fut ensuite différé à cause de sa mutation. Ce n’est qu’en 2012, que je remis le plan à l’ouvrage. Ma rencontre avec l’historien Anton Posset précipita sans doute le désir de le mener à bien, soutenu par le nouveau directeur du Goethe Institut.
Mais à ce moment là , je pris conscience que Herman Hesse avait effectué ce voyage à l’automne 1925 et publié l’opuscule en 1927. N’était-ce pas la période où Adolf Hitler rédigeait Mein kampf à la prison de Landsberg? Exactement entre 1924 et 1925, l’ouvrage devant sortir en librairie: le premier volume en 1925 et le second en 1926. N’était-ce pas symptomatique au vu de l’immédiat succès que connut l’ouvrage — plus d’un million et demi d’exemplaires vendus — au point d’assurer les revenus d’Hitler d’alors —, que Hermann Hesse n’en eut pas eu connaissance? Et si cela eut été le cas pourquoi n’y faisait-il absolument pas référence dans son journal, se retranchant dans une sagesse subjective, évoquant les mythes de la belle Lau, pour finir son voyage à Nuremberg, où Hitler organisait déjà ses grands rassemblements nazis avec les jeunesses du même nom…
J’attribuais cette coïncidence que je n’avais pas perçue au premier abord à l’influence de ce que Jung appelait l’inconscient collectif d’une nation, sorte d’archétypes invisibles travestis en phénomène de «synchronicité», qui animent l’imaginaire et font avancer l’histoire. Mais Hesse vivait déjà en exil en Suisse, pendant qu’Hitler préparait son avènement à la tête de l ‘Allemagne.
Anton Posset me fit remarquer que ces deux ouvrages avaient en commun le projet de constituer des soubassements et même dans le cas d’Hitler, de constructions méthodiques d’une utopie en marche. Utopie positive et créative avec Hesse, qui comme artiste, resterait confinée entre les pages des livres, faisant rêver légèrement quelques hippies américains du début des années soixante. Utopie négative et destructive de Hitler, qui entraînerait tout un peuple et le monde entier dans des évènements effroyables.
Le propre de l’utopie devrait toujours être de faire avancer les esprits dans le silence individuel sans ne jamais parvenir au pouvoir; sous peine de se dénaturer, car l’utopie au pouvoir politique a toujours été suivie de charniers et d’éradication de ce qui est différent: la haine de l’autre. Le retour à Nuremberg était dès lors possible pour créer ce lien entre ces deux visions simultanées, qui ne s’étaient jamais rencontrées, martelant que les lumières de l’intelligence cohabitent toujours avec les démons de l’instinct noir et destructeur…
En 2012 je fis le pèlerinage sur les traces de Hesse découvrant l’Allemagne éternelle avec sa vierge de pierre vieille de milliers d’années, réanimant le temps d’une photographie, ces mythes qui font encore vivre un imaginaire ancestral.
En 2014, je rejoignais Anton Posset à Landsberg pour revenir sur les lieux historiques berceau du troisième Reich et découvrir qu’Hitler fait encore bon ménage avec le tourisme capitaliste; mais aussi que Nuremberg ce temple originel du nazisme était passé entre temps au statut de symbole d’une justice internationale pour les criminels de guerre. La nécessité de ce second voyage me fut dictée par les élections européennes, qui amenèrent les partis d’extrêmes droites à la première place en France et en bonne position dans d’autres états, réanimant la bête toujours prête à renaître avec son cortège de xénophobie, de meurtres et d’attentats antisémites, toujours cachée sous des fleurs, et de beaux discours lénifiants; avec la mission de réveiller cette idée simple qu’on ne change jamais l’ADN d’une idéologie extrémiste.
Gilles Verneret
Le premier volet de l’exposition est présenté au Goethe-Institut à Lyon du 13 novembre 2014 au 16 janvier 2015.
Vernissage
Jeudi 20 novembre 2014 Ã 18h30