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Le Voyage amoureux

Photographies. Entre le flou (une pudeur, l’obscène, le rien) et le net (un fantasme ? une escroquerie ?) : le temps.

— Éditeur(s) : Crisnée, Yellow Now
— Année : 2000
— Format : 17 x 12 cm
— Illustrations : nombreuses, noir et blanc
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-87340-150-8
— Prix : 10,67 €

L’amour flou
par Emmanuel d’Autreppe

Le photographe: — Le flou est une pudeur, un mensonge qui ne tente que de dire autrement la vérité.
Le flâneur : — Il est aussi l’obscène, qui se montre et se masque, se désigne comme l’impossible à définir, à cerner davantage.
Lao-Tseu (passant par là) : — Le flou n’est rien, car il n’a pas d’existence propre. Le flou est tout, car rien n’a d’existence — et c’est cela qu’il montre.

Et le net ? Si ce n’était qu’un fantasme ? Une escroquerie ? Un piège à gogos, un attrape-touriste ?

Contraste entre la difficulté — ou plutôt la réticence — à vouloir définir trop nettement les contours du sentiment, et la netteté du chromo, la limpidité du cliché, la reconnaissance instantanée de la pierre de touche architecturale, qui s’offre immédiatement sur le chemin du promeneur au long cours et à la courte vue. Le guide l’a dit, mes yeux le voient, et je suis libre de mes pas. Le décor, la toile de fond, on sait ce que c’est, ou si on ne sait pas on devine — mais au devant, qui est-ce ? Et même, de quoi s’agit-il ? je ne crois que ce que je touche.

Tomber amoureux n’est pas une chute, c’est tout un périple. Il a du pléonasme dans ce « voyage amoureux » — voyager, c’est aimer, aimer, c’est voyager —, mais dont les termes ne fusionnent pas. La surface de l’image est pleine comme un œuf, et seule une mince pellicule sépare le blanc trouble du jaune franc, comme l’eau et l’huile se frôlent, se séparent, se rejoignent, dans l’antichambre affective, la cuisine du regard, au seuil du grand mélange.

Le flâneur (ahuri, qui voit s’échapper vers l’avant-plan deux amoureux à bord de leur mystère) : — Alors le flou, c’est l’eau ou c’est l’huile ? J’en aurai le cœur net.)

Mauvaise question, fausse résolution. Car enfin la seule présence sûre, dans ces images, est celle du temps. Consistance du sujet de l’image, évanescence de l’objet du désir; fugacité de l’instant, durée du voyage; permanence du sentiment, résistance de la mémoire. En décalquant, en parallèle, ses pas sur ceux de Lawrence Durrell en Sicile, de Catane à Agrigente, via Taormina, c’est aussi les ruines animées de la littérature que visite Éric Loyens, et celles du « Grand Tour » photographique dont le XIXe siècle, positiviste et incurablement romantique, était friand. L’exotisme pourra bien être tout proche, familier, à portée de main, consommable à merci; mais aimer, ce sera toujours partir, aller loin.

Il ne s’agit pas ici de rendre compte fidèlement d’un voyage, d’une découverte effectués avec la compagne ou le compagnon. Il s’agit de rendre compte de la fidélité elle-même, fidélité au regard et à son trouble (fidélité des images, vous ne tenez plus qu’à un fil magrittien, un Yo-Yo, un élastique … ), dette à la sensation intime du moment et du lieu, et surtout de la compagnie. L’état d’esprit du photographe ne s’empare pas de l’image dans sa totalité, ne l’imprègne pas d’un désir photobiographique comme d’un vernis sentimental, mais maintient ouverts et sensibles l’écart, la distance, entre ce qu’il est possible de saisir, d’identifier, de reconnaître, et ce qui risque de s’échapper à tout instant, peut-être a force de trop nous crever les yeux avec son infinie douceur : la complicité du monde.

Grand naï;f et cultivé, le regard se promène, recueille, récolte, là une pierre, ici une lumière en peau de léopard, trouée, disparate. On sent, éclipsés d’une image à l’autre, les moments du désir, le repos du regard malicieux entre deux battements de ses cils.

Une dernière chose à vous dire : elle s’appelle Nathalie.

Mais déjà le flâneur s’est éloigné, il a repris sa route invisible. Le cÅ“ur est un touriste solitaire…

(Publié avec l’aimable autorisation des Éditions Yellow Now)

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