Pour répondre au thème «Le spectacle du quotidien», proposé par Hou Hanru, commissaire de la Xe biennale de Lyon, Latifa Echakhch présente l’univers sociologiquement invisible et silencieux du locataire ordinaire des habitats modérés, souvent dissimulé derrière les considérations critiques plus vastes de l’architecture moderne de type corbuséenne.
Sur une superficie d’environ 100 m² un linoléum est disposé au sol de manière à reconstituer l’univers conforme d’un appartement. En évoluant dans cet espace, tel qu’on pourrait le faire en découvrant une habitation étrangère, on aperçoit sous nos pas de nombreux détails.
Des textes, des visages, des graphiques et des plans sont gravés sur le linoléum à la manière de la gravure sur bois. Plus que des traces du passage des individus, ces inscriptions rendent compte d’une réalité beaucoup plus impersonnelle.
Entre des logos d’offices HLM tels que l’OPAC et différents sigles immobiliers, on peut déchiffrer des consignes semi effacées de Le Corbusier qui traduisent la désuétude de ses conceptions urbanistiques.
L’évocation du Style International reconnu aujourd’hui pour son rationalisme froid et sa propension structurante ne fait pas ici l’objet d’une réelle critique. Malgré le titre Architectures et révolutions, Latifa Echakhch s’efforce de rester fidèle à un témoignage. Tel qu’elle l’inscrit, «les sentiments débordent» et les affects parviennent à défier la rectitude des formes et à laisser une empreinte dans le système a priori invulnérable de la pensée moderne.
Face à cette vaste étendue de linoléum, Latifa Echakhch propose deux autres œuvres intitulées Principe d’économie. L’une est composée d’1 kg de sucre en morceaux déposé sur le sol, et la seconde, d’une vingtaine de pains de sucre de 2 kg chacun importés du Maroc. Par le choix de ces matériaux sciemment modestes Latifa Echakhch évoque la pauvreté des conditions de vie auxquelles, comme elle le suggère, elle a dû personnellement faire face. Si son œuvre fait écho à une réalité collective, elle est avant tout autobiographique et relève du courant artistique des mythologies personnelles.
Comme Joseph Beuys qui puisait les matériaux de son œuvre dans sa propre vie, Latifa Echakhch inscrit son histoire personnelle dans un sujet de société en le traitant par le biais de ses souvenirs intimes.
En soumettant Le Corbusier à l’épreuve de sa propre vie, Latifa Echakhch se place dans le sillage de Jean-François Lyotard pour qui l’époque contemporaine oscille entre une incrédulité à l’égard des «grands récits» historiques totalisants et les «micro-récits» tissés dans la matière du narcissisme.
Latifa Echakhch
— Sans titre (Architectures ou révolutions), 2009. Linoléum 100m².
— Principe d’économie, 2006. 1 kg de Sucre
— Principe d’économie, 2006, 2009. Pains de sucres.