Galante, séductrice, l’œuvre de Carole Benzaken est un mensonge, une illusion de simplicité. Évocation de paysages, touche impressionniste ou trait minutieux… Sous des dehors raffinés, un brin désuets, une maîtrise parfaite des couleurs, un goût prononcé pour les reflets, les transparences, l’alternance des aplats et des frottis, sa peinture dit beaucoup plus qu’elle ne le laisse croire et s’inscrit dans le contemporain jusqu’à en retranscrire la dialectique visuelle et les fantasmes.
Son Paradis perdu n’est pas une île, mais la projection d’un idéal hédonique des plus ordinaires, reproduction d’une publicité pour dépliant touristique, rêve de bazar caché dans l’épaisseur de la toile et masqué par un premier plan semi opaque qui le rend inaccessible…
Carole Benzaken est une contemplative cynique. Une fausse idéaliste. La poésie qui émane de ses peintures est aussi éphémère qu’une brise d’été. La légèreté a la pesanteur du réel. L’encre de Chine, l’odeur standardisée des magazines de mode. Ses sujets, elle les puise dans le fouillis des images médiatiques, en copie l’esthétique, change les flous photographiques en fondus picturaux (Zem 1, 3xF), figeant les traces du mouvement en une dilatation colorée − mirage de temps suspendu.
Elle transpose sur la toile la logique de l’image numérique, sa variabilité, son potentiel de fragmentation, d’éclatement du motif. Pas d’unité optique mais une multiplication des angles de vue. Pas de plans successifs, strictement ordonnés selon les lois de la perspective mais une superposition anarchique, cumulative, qui perturbe la lecture, la rencontre avec la figure.
Le regardeur est condamné à traverser les filtres, l’œil à s’égarer dans les méandres et les profondeurs de la toile. Dans Ecclaste, un caisson lumineux sert de châssis au dessin, nous laissant croire à l’existence d’un inconscient de l’image, d’un contenu latent.
Ses vidéos elles aussi portent un masque. Recouverte d’une peau ajourée, l’action —ici la marche d’un homme— perd sa fonction narrative, et renvoie à la modernité d’un cinéma qui exalte le temps du réel, contraignant les protagonistes à l’errance et confrontant le spectateur à sa propre quotidienneté.
Si l’œuvre de Carole Benzaken a aussi une mémoire intime, absorbant ça et là des brides de souvenirs personnels, elle est surtout le miroir de notre culture visuelle, et se rapproche en cela d’autres artistes-peintres de la galerie, comme Fiona Rae ou Frank Nitsche.
Très différents en apparence, ils se font les portes parole d’une nouvelle politique de l’image, au sens de la Politeia grecque, révélant son fonctionnement et sa structure. Et cette caractéristique commune démontre non seulement la cohérence de la programmation de Nathalie Obadia mais encore l’évolution d’une peinture qui déplace son rapport à la mimesis.
Il ne s’agit plus d’une simple représentation de la réalité, dans l’idée d’une imitation formelle, ni d’un refus de cette dernière, mais d’une analyse, d’une compréhension et d’une adhérence à l’essence du «voir» contemporain.
Carole Benzaken
— (Lost) Paradise J., 2009. Acrylique sur toile. 200 x 300 cm.
— 3 x F., 2009. Technique mixte sur papier. 210 x 240 cm.
— Zem 2, 2009. Acrylique sur toile. 200 x 300 cm.