Omer Fast
Le présent continue
Basé essentiellement sur l’image en mouvement, le travail d’Omer Fast explore la complexité de la narration à travers une pratique qui trouble les frontières entre le «réel» et la «représentation». Si l’origine de ses histoires est souvent documentaire, leur construction s’affranchit cependant d’une démarche naturaliste et résiste à toute conclusion ou révélation d’une «vérité» ultime du récit.
Omer Fast s’intéresse au rapport entre individu et collectivité, à la façon dont les événements sont transformés en mémoires et histoires ainsi qu’à leurs modes de circulation et de médiatisation. Ainsi, l’artiste interroge les politiques de représentation, faisant suite aux projets qui, au sein de la programmation du Jeu de Paume, ont proposé de nouvelles formes narratives dans le champ de la vidéo et de l’installation.
Omer Fast est avant tout un narrateur. La manière dont il construit des histoires, qui se concrétise par une maîtrise de la forme, des modalités du récit et de l’agencement du point de vue, transcende les sujets qu’il aborde. Son Å“uvre traite en effet des questions sociales, politiques, géopolitiques ou historiques, mais c’est le mode de narration et ses effets qui lui donne tout son sens.
«Dans les événements presque rien ne profite à la narration, presque tout profite à l’information», constatait Walter Benjamin en 1936. Il ajoutait: «Car c’est le fait du narrateur né que de débarrasser une histoire, lorsqu’il la raconte, de toute explication.»
Ces quinze dernières années, Omer Fast n’a cessé de raconter des histoires en interrogeant le statut même de l’image. Ses installations vidéo entrelacent différents registres — réalité et fiction, original et copie, document et artifice — révélant les codes et les conventions qui définissent le «réel» au cinéma et à la télévision.
L’œuvre d’Omer Fast joue avec la vérité objective de l’expérience, soulignant le décalage entre expérience vécue, identité et discours. L’artiste aime travailler avec le témoignage (du soldat, du refugié, de l’acteur porno, de l’embaumeur, …), point de départ de nombre de ses œuvres. Il le transforme et le manipule librement grâce au montage et rend visible le travail complexe qui consiste à traduire en images les faits, tout en contestant la primauté du témoin. Il rend compte des récits potentiels que ceux-ci peuvent engendrer — des chemins ouverts à l’infini.
Certaines fois, ces récits occupent simultanément un même plan. Ils peuvent rappeler alors les sentiers qui bifurquent de Borges, ou les «narrations falsifiantes» de Gilles Deleuze. Le travail de Omer Fast nous confronte à ce paradoxe insoluble: si une histoire est le fruit — autant que l’otage — de conventions discursives, il n’en reste pas moins que, sans ces conventions, il n’y aurait ni expérience ni transmission.
Omniprésente dans le travail d’Omer Fast, la répétition constitue aussi un aspect central de sa grammaire filmique: les figures du double, de la boucle et de la reconstitution sont autant d’éléments qui définissent son œuvre. Ainsi la répétition avec variations ou les variations au sein de la répétition structurent-elles les vidéos présentées dans l’exposition, 5000 Feet is the Best, Continuity (Diptych) et CNN Concatenated, que traversent également l’expression du trauma, le jeu de rôles et la guerre.
«Omer Fast. Le présent continue» propose une progression qui part d’une réflexion sur les nouvelles formes de guerre à distance, basée sur un témoignage dans 5,000 Feet is the Best, puis glisse vers la fiction et l’horreur au sein d’une famille avec Continuity (Diptych) et opère enfin un retour au réel historique dans le contexte du 11 Septembre avec CNN Concatenated.
Du déclenchement de la guerre contre le terrorisme au «combat virtuel», est donnée à voir la façon dont notre expérience du monde est médiatisée par les technologies de l’image, capables de rendre de plus en plus réel leur impact sur le sujet, que ce soit le spectateur télé ou le pilote de drones.
Omer Fast est né à Jerusalem en 1972. Il vit et travaille à Berlin.
Vernissage
Mardi 20 octobre 2015
critique
Le présent continue