PHOTO | CRITIQUE

Le Petit Poucet

PJuliette Delaporte
@12 Jan 2008

Une famille stéréotypée de sans abris côtoie des figures fantomatiques pour hanter des espaces étranges, à la fois réels et imaginaires. Les photographies panoramiques de Delphine Doukhan inventent un récit fantastique et cruel pour une version très particulière du Petit Poucet…

Les images de Delphine Doukhan se déploient sur un seul mur fortement éclairé tandis que le reste de la pièce est plongé dans la pénombre. Cette surface de lumière est la scène où le récit va se dérouler, où le conte peut nous emporter.

L’idée de récit est renforcée par le montage des images: les vues du Petit Poucet forment un ensemble rythmé par l’abrupte confrontation de cadres horizontaux et verticaux. Cette écriture des rectangles évoque un langage primitif, une opération mathématique, ou une équation magique : le mur blanc n’est pas un support d’accrochage, mais une page vierge où les signes se lisent pour créer des mondes extraordinaires et raconter une histoire.

Pourtant, Le Petit Poucet de Delphine Doukhan ne provoque pas l’identification propre au conte. Dans ces espaces étranges et déformés, les repères sont brouillés. Les légendes indiquent par exemple : Premier rêve : une famille heureuse. Les membres d’une famille de sans abris arborent des visages épanouis, des sourires parfaits dignes des mondes aseptisés des réclames télévisuelles. Un décalage s’opère entre l’apparente précarité de leurs conditions de vie et leur pose de famille modèle. Le registre publicitaire associé à des effets documentaires pose un regard critique sur le bonheur idéal médiatisé.

Le registre du fantastique ajoute à l’hétérogénéité de ce monde du malaise. En captant des évanescences, des présences redoublées, des distorsions de l’espace, l’appareil photographique rotatif utilisé se prête tout à fait à ce périple hallucinatoire de Poucet.
Des paysages surréalistes surgissent: les arbres poussent vers le bas. Les pierres forment des tâches étranges. Ils sont hantés par d’effrayants personnages: les fantômes de la pose photographique se transforment en acteurs véridiques. Les effets de bougé font de l’ogre un personnage terrifiant capable d’apparaître et de disparaître à sa guise dans la même image.
Également, un même personnage peut se retrouver deux fois au long du récit. Premier rêve : une famille heureuse et Réconfort chez la femme de l’ogre arborent deux femmes au même visage. L’une incarne la mère de Poucet et l’autre la femme de l’ogre.
La causalité narrative est ainsi malmenée au profit de l’exploration chaotique de l’inconscient. Lorsque Poucet fantasme, c’est pour dépister avec une extraordinaire lucidité la cruauté cachée des apparences.

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