Pierre Leguillon
Le musée des erreurs: Barnum
Le musée des erreurs: Barnum, présenté au Mrac du 15 mars au 7 juin 2015, fait suite au Musée des erreurs: art contemporain et lutte des classes présenté au Wiels à Bruxelles du 10 janvier au 22 février 2015. Sous cette appellation commune, un ensemble de photographies, extraits de films, publicités, cartes postales, affiches, diapositives, pochettes de disques, magazines et autres médias de masse sont assemblées sous forme d’œuvres uniques. Celles-ci ne sont pas pour autant figées dans des formes fixes. Au contraire, le principe de mouvement, voire de réversibilité, se retrouve au cœur de toutes ces œuvres, qui se déploient sur des structures mobiles, légères ou transportables. Grâce à son économie de moyens et à l’autonomie de ses dispositifs de présentation, Le musée des erreurs propose un nouveau modèle d’exposition qui tente de déjouer les hiérarchies de l’art.
Conçu par Pierre Leguillon, ce musée rassemble des œuvres créées au cours des quinze dernières années. Leur présentation ne suit pas un parcours chronologique mais s’articule par groupes thématiques comme le suggère les diverses occurrences du Musée, ici placé sous le signe de Barnum. Phineas Taylor Barnum était un entrepreneur de spectacle américain, célèbre pour ses «Freak shows» et pour le cirque Barnum fondé en 1871, qui donna naissance au chapiteau éponyme. Concepteur d’un théâtre ambulant dans lequel se côtoyait femmes à barbes, nains, serpents de mer et autres sirènes, Barnum restera dans l’histoire pour la démesure de ses spectacles, l’étrangeté des phénomènes exhibés et son talent inné pour la publicité par le biais de méthodes et de dispositifs de mise en scène parfois douteux mais très novateurs pour l’époque.
Placer Le musée des erreurs sous le signe de Barnum est une manière d’interroger la généalogie des images sous l’angle du spectaculaire et de l’«entertainment» si chers à nos sociétés contemporaines. Il témoigne de l’intérêt que Pierre Leguillon porte à la contextualisation des images, ainsi qu’à la manière dont leurs conditions d’apparition conditionnent leur réception.
L’exposition s’ouvre au rez-de-chaussée du Mrac par la projection de La Voie express, un diaporama d’images prises — une fois n’est pas coutume — par Pierre Leguillon lui-même. Elle propose un jeu stroboscopique sur des fragments de la réalité prises au gré de ses déplacements. Ce diaporama se divise en cinq séquences d’images distinctes qui, toutes, apparaissent comme autant de clichés de nos représentations du monde, et s’attarde notamment sur divers dispositifs muséographiques. Par son dispositif de présentation immersif et spectaculaire, alors même que les images sont des plus triviales, Pierre Leguillon initie une réflexion sur le statut des images qui se déploie par la suite à l’étage du musée.
Si les images que Pierre Leguillon s’approprie sont de natures diverses, un grand nombre d’entre elles sont liées à l’histoire de l’art. Il en va ainsi de La Rétrospective imprimée de Diane Arbus, 1960–1971 qui réunit le travail produit par la photographe new-yorkaise dans les années 1960, tel qu’il fut originellement diffusé dans les magazines Harper’s Bazaar, Esquire ou The Sunday Times Magazine. De façon similaire, le diorama Dubuffet typographe explore un pan généralement peu étudié du travail de l’artiste français, à savoir son inventivité typographique. Ces artistes majeurs sont présents au Musée des erreurs autant pour leur travail artistique que pour la réflexion qu’ils permettent d’engager sur les conditions de production et de réception de l’art.
Ancien collaborateur de Raymond Hains, connu pour ses décollages d’affiches et de slogans politiques, dont il a organisé deux expositions et édité la monographie publiée par le Centre Pompidou (J’ai la mémoire qui flanche, 2001), Pierre Leguillon a tiré les leçons de cet amateur du détournement de sens et très tôt appris à ne pas prendre les discours dominants pour argent comptant. Son Musée des erreurs nous invite au contraire à nous servir des archives à notre disposition pour ré-écrire l’histoire, notre histoire.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains outils qu’il utilise sont à la portée de tous. L’un d’entre eux, le home cinema, est à la base de La Promesse de l’écran, une série de projections de films sur un écran au format 4/3, s’ouvrant à l’entracte sur un bar 16/9. À chacune de ses occurrences, La Promesse est suivie d’un sous-titre qui indique le contenu du film. La Promesse de l’écran: Manuel de photographie, par exemple, nous initie à travers des extraits de film à la pratique photographique, tandis que La Promesse de l’architecture rassemble des séquences tournées dans des architectures remarquables. Au Mrac, seront présentées La Promesse du comptoir ainsi qu’Une Promesse pour les enfants.
Si Pierre Leguillon libère ainsi les images de tout sens prédéfini et nous encourage à constituer nos propres interprétations, nos propres récits, il s’affranchit lui-même également de toute identité préétablie. Photographe, conférencier, collectionneur, barman, projectionniste ou curateur, il adopte toutes les postures, sans jamais se cantonner à aucune. En décloisonnant les identités, qu’il s’agisse de celle de l’artiste, du visiteur ou des images exposées, Le Musée des erreurs nous invite à repenser nos conditions de réception de l’art qui n’est pas ici seulement envisagé comme un objet, mais également comme une activité humaine parmi d’autres. Pierre Leguillon interroge ainsi la fonction politique de l’art au sein d’une société où chaque individu reçoit et émet en permanence des informations.
Commissariat
Sandra Patron
Vernissage
Samedi 14 mars 2015
critique
Le Musée des erreurs: Barnum