Initiée par le musée du Quai Branly, qui conforte ainsi sa politique d’ouverture à la création contemporaine des pays d’où proviennent ses collections patrimoniales, la première édition de Photoquai, «Biennale des images du monde», est une manifestation ambitieuse. Elle se déploie dans une dizaine d’institutions parisiennes. Mais c’est l’exposition Le Monde regarde le monde, qui se tient devant le musée, quai Branly et passerelle Debilly, qui en constitue le cœur.
Les commissaires de cette exposition collective ont voulu rompre avec les images stéréotypées du monde non occidental produites tantôt par les agences de communication et les photographes voyageurs friands d’exotisme et de dépaysement, tantôt par les photojournalistes en quête d’images choc.
Ils ont souhaité renouveler nos représentations de ces pays en collaborant avec des commissaires qui en sont originaires et en donnant une large place à des artistes peu connus en France.
La plupart d’entre eux sont en effet peu diffusés, souvent exclus des grandes expositions qui ne retiennent que quelques figures qui, à l’instar du Malien Malik Sidibé, finissent par incarner tout un continent photographique.
Tous ne sont pourtant pas totalement inconnus du grand public : ainsi du Thaïlandais Manit Sriwanichpoom, dont le travail est suivi par la galerie Vu’. Mais ce dernier abandonne pour l’occasion son fameux personnage «Pink Man» et son regard caustique pour présenter de beaux portraits en noir et blanc, frontaux et cadrés serrés de ses voisins à Bangkok.
Cette exposition offre ainsi de nombreuses surprises. La première est qu’elle est très réussie. Cela ne semblait pas évident à la vue du projet : 400 œuvres réalisées par près de 70 artistes, exposées en extérieur en plein mois de novembre et réunies, pour la plupart d’entre elles, autour de thèmes («Confrontation», «Fictions» et «Métamorphose») a priori trop vagues ou trop déconnectés de l’histoire de l’art et de la photographie pour véritablement créer du sens.
Curieusement, sur place, ces intitulés ne sont pas présents. La scénographie et la signalétique ne semblent pas en tenir compte. Il faut les chercher dans le document distribué à l’entrée de l’exposition. Même si les commissaires auraient préféré s’en passer pour privilégier des regards singuliers, ces trois concepts, aussi larges soient-ils, favorisent la compréhension des œuvres qui sont présentées sur le quai Branly, imprimées en grand format sur des bâches.
«Confrontation» réunit des photographes inscrits dans la réalité contemporaine, qu’elle soit plaisante, désolante ou violente. Ceux que regroupe l’intitulé «Fictions» partagent un même goût pour l’imaginaire et la mise en scène. Enfin, «Métamorphose» réunit un ensemble de travaux qui ont pour dénominateur commun la nature et sa valeur spirituelle.
Surtout, ces notions donnent lieu à des rapprochements formels et thématiques qui révèlent l’originalité ou la force des différents regards.
Ainsi, plusieurs séries sur la ville et ses misères dialoguent avec succès. Par exemple, Gauri Gill traite de Nizamuddin, quartier de Delhi, avec la même pudeur et le même mystère que le Chinois Chang He qui présente des façades de salons de coiffure abritant des maisons closes.
En revanche, T.J. Lemon et Chryssa Panoussiadou portent deux regards très différents — le premier est bien plus tendre que la seconde — sur la même question de l’élégance vestimentaire. La scénographie éclatée facilite ce type d’échanges sans pour autant mélanger les travaux. Chaque artiste dispose en effet d’un espace qui est le plus souvent cohérent et unitaire tout en restant ouvert sur ceux de ses voisins.
La partie de l’exposition sur la passerelle Debilly rompt avec ce principe de dialogue. Les boîtes disloquées et ouvertes du quai Branly ont cédé la place à des présentoirs qui veulent rappeler ceux des bouquinistes des quais. Chaque artiste dispose ainsi d’un espace clos. La plus grande diversité règne.
Selon le catalogue de l’exposition, ces travaux ont pour point commun la notion de série et sa déclinaison sous forme de système ou de récit. Il est vrai que la série Poisson et fourmi du Cambodgiens Mak Remissa semble raconter une histoire. Les vues macrophotographiques de poissons devenus la proie de fourmis sont inspirées d’un proverbe khmer qui n’est malheureusement pas reproduit et qui est une métaphore des conséquences néfastes d’une oppression mutuelle : «Quand l’eau monte, le poisson mange la fourmi, quand l’eau descend, la fourmi mange le poisson».
A l’opposé de ce travail fragile et intériorisé, les photographies de son corps inscrit que propose Erica Lord posent très directement la question de l’identité et du métissage. Ce travail est à rapprocher de celui de la Canadienne K.C. Adams. Leur méthode, qui repose sur la présence de textes dans l’image, fait penser à l’art politique et critique des années 70 et 80. Les deux artistes reprennent, pour les dénoncer, les principaux stéréotypes identitaires.
Ainsi, du poétique au politique, cette exposition offre une diversité de regards rarement présentés en France. Gageons qu’elle parvienne même à réconcilier les esprits les plus critiques avec le genre parfois galvaudé de l’exposition grand public en plein air.
Photographes
— Mark Adams(Nouvelle-Zélande)
— Abe (Madagascar)
— K.C. Adams (Canada)
— Shokoufeh Alidousti (Iran)
— Jenny Altschuler (Afrique du Sud)
— Mehraneh Atashi (Iran)
— Jaime Avila (Colombie)
— Aziz Ayash (Arabie Saoudite)
— Sammy Baloji (République Démocratique du Congo)
— Vita Bouïvid (Russie)
— Luiz Braga (Brésil)
— Iatã Cannabrava (Brésil)
— Yan Changjiang (Chine)
— Luo Dan (Chine)
— Aiham Dib (Syrie)
— Gulda El Magambo (République Démocratique du Congo)
— Rana El-Nemr (Egypte)
— Gilles Elie-dit-Cosaque (Martinique)
— Arash Fayez (Iran)
— Cia de FOTO (Brésil)
— FotoKids (Guatemala)
— Wang Gang (Chine)
— Lee Gap-Chul (Corée)
— Gauri Gill (Inde)
— Lucia Guanaes (Brésil)
— Pepe Guzman (Chili)
— Mohamad Haj Kab (Syrie)
— Farida Hamak (Jordanie)
— Zeng Han & Yang Changhong (Chine)
— Chang He (Chine)
— Peyman Houshmandzadeh (Iran)
— Tiina Itkonen (Amérique du Nord)
— Anita Khemka (Inde)
— T.J. Lemon (Afrique du Sud)
— Sergei Leontiev (Russie)
— Erica Lord (Canada)
— Marcos Lopez (Argentine)
— Ulrich-Rodney Mahoungou (Congo-Brazzaville)
— Anay Mann (Inde)
— Jean-François Manicom (Guadeloupe)
— Farshid Mesghali (Iran)
— Guadalupe Miles (Argentine)
— Gerardo Montiel Klint (Mexique)
— Luis Molina Pantin (Venezuela)
— François Ndolo (Congo-Brazzaville)
— Wang Ningde (Chine)
— Sahan Nuhoglu (Turquie)
— Sherman Ong (Singapour)
— Chryssa Panoussiadou (Grèce)
— Fiona Pardington (Nouvelle-Zélande)
— Armin Pflanz (Afrique du Sud)
— Dileep Prakash (Inde)
— Wu Qi (Chine)
— Numo Rama (Brésil)
— Soavina Ramaroson (Madagascar)
— Mak Remissa (Cambodge)
— Monica Ruzansky (Mexique)
— Watanabe Satoru (Japon)
— Javier Silva (Pérou)
— Manit Sriwanichpoom (Thaïlande)
— Gerardo Suter (Mexique)
— Serguei Tchilikov (Russie)
— Leonod Tishkov & Boris Bendikov (Russie)
— Joao Wainer (Brésil)
— Pan Wei (Chine)
— Xu Pei Wu (Chine)
Photoquai 2007
Environ 400 photographies imprimées sur bâches ou PVC.