La Galerie Anne de Villepoix a déjà mis à l’honneur une peinture d’Omar Ba dans sa vitrine, elle lui consacre actuellement une exposition personnelle.
C’est une botte, seul ready-made parmi la trentaine de peintures, qui ouvre l’exposition. Elle annonce l’omniprésence et la fascination d’Omar Ba pour tout ce qui relève du pouvoir et autres costumes d’apparat. Cette botte est la métaphore de toutes les mises au pas de peuples d’Afrique sous le joug de dictateurs ou d’anciens colons. Elle fonctionne au sein d’un diptyque avec un petit tableau au fond noir sur lequel sont repris les divers éléments qui la décore.
Si Omar Ba aborde, comme son compatriote Chéri Samba, de nombreuses thématiques politiques, il le fait en évitant l’écueil des messages prémâchés et simplistes. On perçoit certes un goût de la palabre qui participe d’une peinture de la chronique du quotidien. Mais, son art ne verse jamais dans une figuration de facture lisse et réaliste.
Ici, pas de narrations didactiques ou consensuelles, ni de prises de positions au premier degré; mais des œuvres énigmatiques, d’une grande poésie visuelle, qui semblent déjouer toutes interprétations naïves. Ainsi, pour évoquer la question de l’excision, il adopte un style qui n’exhibe aucune laideur ou cruauté de mauvais goût.
La peinture exposée au fond de la galerie fait partie d’une série de petits formats où Omar Ba explore l’usage des fonds blancs. Le blanc nacré vient souvent recouvrir les corps, les visages ou les armes comme autant de voiles de pudeur dissimulant une réalité honteuse.
Avec Promesses 1 on croit voir de loin un De Staël, avec ses bandes blanches verticales et ses taches de couleurs sur un fond noir intense. Mais en s’approchant, on finit par distinguer des rangées de ceintures suspendues. En Afrique, la ceinture est une métaphore de l’homme, mais aussi l’attribut vestimentaire du «blanc» qui s’en servait pour punir. Chaque ceinturon est orné d’une boucle à l’intérieur de laquelle, Omar Ba a dessiné un militaire, une chaise, etc., comme autant de figures d’un pouvoir abusif (paternel ou colonial).
Omar Ba ne cesse d’entremêler les métaphores personnelles et les symboles ancestraux. C’est ainsi que les ceintures finissent par ressembler à des serpents qui représentent l’homme dans la tradition africaine.
L’iconographie des tableaux d’Omar Ba requiert donc une lecture patiente s’affranchissant de notre perception hâtive de ce Monde des apparences (qui donne son titre à l’exposition).
Dans les tableaux d’Omar Ba, comme dans notre monde, le plus important ne se voit qu’au terme d’une lente contemplation semblable au regard de cette tortue minuscule qui flotte en surplomb d’un énorme crabe au centre d’une toile de la première salle. La tortue est d’ailleurs en Afrique symbole de la fertilité et de la patience. Omar Ba privilégie donc une approche symbolique du réel au détriment du souci de la ressemblance.
Cette peinture figurative renonce également à l’illusion perspectiviste en ne respectant pas les proportions des êtres figurés. Les animaux à peine esquissés ou les êtres hybrides (mi-homme, mi- bête) disproportionnés semblent flotter dans un espace noir sans profondeur.
Par exemple, sur la grande toile à l’entrée de la seconde salle, un banc de poisson flotte mystérieusement autour de la tête du peintre (dont c’est le seul autoportrait).
Omar Ba adapte au langage plastique les procédés arbitraires du langage verbal, puisque, à l’instar d’un écrivain ou d’un cinéaste qui décrit soigneusement ce qui l’intéresse et qui généralise le reste, il agrandit ou rapetisse arbitrairement les objets et les êtres qui composent le tableau selon l’importance sensorielle ou intellectuelle qu’il leur attribue. Dans Pauvreté It’s a Profession, il néglige volontairement la dimension relative des deux personnages dessinés. Avec Pauvreté It’s a Crain, c’est le rapport du personnage à la voiture et à l’animal qui est disproportionné.
Depuis deux ans et demi, le peintre délaisse la toile pour peindre sur du carton. C’est moins cher et plus pratique. Si la cherté de la toile peut dissuader parfois des audaces picturales, sa blancheur aussi. On sait, depuis Deleuze, que le fond blanc est toujours saturé de clichés. En recouvrant tous ces fonds de noir, Omar Ba dissimule peut-être une partie de ces clichés invisibles. Le noir devient un meilleur support des projections mentales de la subjectivité de l’artiste et celles du spectateur. L’artiste peut alors laisser libre cours à son imagination.
Les formes végétales et les figures hybrides colorées, mi-humaines, mi-animales peuvent ainsi s’épancher librement de son inconscient. Le peintre peut aussi gratter cette couleur et y écrire dessus comme sur un tableau noir à la manière d’un Basquiat.
En voyant les tableaux d’Omar Ba, on ne peut que repenser à cette fameuse phrase de Bachelard: «Le noir est le refuge de la couleur»! Ainsi, dans le second tableau de grand format qui ouvre l’exposition, le peintre a récemment expérimenté sur des motifs végétaux une exploration plus poussée des couleurs. Toutefois il déclare ne pas trop en abuser: «Soit on en met trop soit pas assez…».
Réserve qu’eurent aussi Van Gogh et Gauguin à entrer dans la couleur, en l’abordant à reculons, pour ensuite devenir parmi les plus grands coloristes. C’est peut-être aussi une des raisons pour laquelle Omar Ba part toujours du noir, qu’il recouvre parfois de blanc pour ensuite ajouter deux ou trois couleurs dominantes seulement. ce
Comme ce tableau où apparaissent deux pièces de monnaies portant l’effigie de visages que tout semble opposer. L’une est une figure royale; l’autre le dessin d’un jeune homme pauvre. Omar Ba questionne tout ce qui donne une valeur aux êtres; souvent de manière indue comme les médailles, l’argent ou les décorations. Le peintre joue habilement sur cet usage performatif des symboles de richesse ou de pouvoir.
Les tableaux d’Omar Ba peuvent donc être appréciés tout autant pour le plaisir sensible qu’ils dégagent que pour l’intérêt intellectuel qu’ils suscitent. L’artiste superpose pour cela une peinture lyrique faite avec une touche épaisse et un art méticuleux du dessin. Le spectateur peut alors alterner entre une vision haptique qui se laisse aller au plaisir de cette touche sensuelle et une vision optique attentive aux significations secrètes des multiples dessins.
Tel ce tableau dans lequel un businessman aux allures de yuppie semble vouloir apporter la bonne parole. On le voit devant une table avec une petite mosquée, une église et des livres sacrés.
Dans un monde déchiré par les conflits religieux, il y a peut-être la nostalgie d’une certaine unité originelle des peuples africains qui étaient tous animistes. Dans cette toile comme dans beaucoup d’autres, Omar Ba use aussi fréquemment du procédé de mise en abîme d’images dans l’image. Dans les lunettes de soleil du personnage se reflètent des camions, des pelles, un chantier, comme un écho de nos convoitises à venir investir en Afrique !
Le caractère «animiste» de la peinture d’Omar Ba ne réside pas tant dans la présence de souvenirs d’une Afrique natale sur fond d’un bestiaire naïf, mais dans le fait qu’une image peut toujours en cacher une autre. Ainsi dans un magnifique tableau de la série qui clôt l’exposition une image de mouton sommeille au cÅ“ur du visage d’un chef d’Etat.
Percer le «Monde des apparences» ce n’est pas simplement constater que les hommes se comportent parfois comme des animaux, mais reconnaître au-delà des formes animales ou humaines, ce même continuum de pensée servile et cruelle qui se cache fréquemment sous les oripeaux de la gloire et de la puissance.
Å’uvres
— Omar Ba, Pauvreté It’s a Crain, 2011. Huile, crayon, gouache, encre de Chine sur carton. 210 x 150 cm.
— Omar Ba, Le Monde des apparences (Série noire), 2011. Crayon, gouache, Acrylique sur carton. 70 x 50 cm.
— Omar Ba, Pauvreté It’s a Profession, 2011. Huile, crayon, gouache, encre de Chine sur carton. 218 x 150 cm.
— Omar Ba, The Law-1, 2011. Huile, crayon, gouache, encre de Chine sur carton. 211 x 100 cm.
— Omar Ba, Promesses-1, 2012. Huile, crayon, gouache, encre de Chine sur carton. 202 x 150 cm.