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Le lac des mots

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@12 Jan 2008

De grands monochromes blancs où l’écriture manuscrite court sur le support sans tenir compte de ses bords, comme si les phrases se poursuivaient dans l’espace réel. A la fois héritage lettriste, réflexion sur la figuration du mot même, son tracé dans l’espace, et écriture du temps.

La galerie Philippe Casini présente les peintures de mots de Maria Chevska, conjointement avec la Maison de la Culture d’Amiens. L’exposition intitulée eh montre deux séries de ses toiles récentes : Why Don’t You et Mimic.

Mimic se présente sous forme de grands monochromes blancs où l’écriture manuscrite court sur le support sans tenir compte de ses bords, comme si les phrases se poursuivaient dans l’espace réel. En surimpression, sont tracés au pochoir des caractères typographiques et des signes qu’on reconnaît comme la langue des sourds-muets. Deux représentations de l’alphabet, deux écritures, l’une manuscrite, l’autre typographique. Les recouvrements en blanc sur blanc laissent deviner le papier journal du support.

Le travail conceptuel et plastique proposé par Maria Chevska est d’une grande cohérence. L’héritage lettriste est présent, qui voulait renouveler l’appareil formel de la peinture en substituant des mots aux figurations de choses. Elle le prolonge dans une réflexion sur la figuration du mot même, son tracé dans l’espace. Mais c’est aussi et surtout une écriture du temps qui n’est pas sans affinités avec les travaux de Roman Opalka. Chez Opalka, dilution du pigment dans le blanc, chez Maria Chevska, recouvrement du blanc par le blanc.

La série Why Don’t You présente, sur des formats le plus souvent carrés, des bribes de mots en relief émergeant partiellement d’un lac de peinture figée. C’est une œuvre paradoxalement riche en matière picturale et lisse comme la surface de l’eau : glacis sans trace aucune de l’outil, coulées de laque successives. C’est comme un lait de peinture avec parfois quelques craquelures ou moirures, quelques plissements de peau. Surface miroitante qu’une profondeur soupçonnée rend opaque.

Pas de cadre autoritairement délimité mais la périphérie laisse émerger des traces d’écriture qui semblent enserrer le vide. Parfois les lettres ont raison de l’absence, elles réussissent à gagner une partie du territoire. Les mots, coupés par les bords du tableau, partiellement masqués par les couches de peinture, ne sont que des fragments, comme si seul un ultime ensemble pouvait recomposer la totalité.

Maria Chevska réinvente la tradition du geste à distance : elle déverse une matière liquide qui se répand sur le support. Les lettres elles-mêmes sont tracées à l’aide d’une sorte de poche à douille. A peine solidifiés, les mots sont menacés de dissolution. Elle rend hommage directement et indirectement à Marcel Broodthaers. Au cours de son vernissage à Amiens, elle a montré le film vidéo intitulé La Pluie (projet pour un texte) . On y voit l’eau de pluie dissoudre l’encre de quelques lignes de texte en cours d’élaboration. Le texte virtuel est modifié, interrompu, par cette intervention accidentelle calculée. Dans les toiles de Maria Chevska, la peinture liquide vient inonder elle aussi l’écriture cursive. Émerge ici ou là quelque aspérité rebelle : bribes de phrases, onomatopées, reflets brouillés de mots noyés. Quel archéologue découvrira la langue ainsi enfouie ?

— Mimic, 2001. Toile, papier, kaolin. 71 x 71 cm.
— Mimic, 2001. Toile de lin, papier, kaolin, mine de plomb. 122 x 122 cm.
— Why Don’t You, 2001. Toile, kaolin, peinture. 71 x 71 cm.
— Why Don’t You, 2001. Toile, kaolin, peinture. 41 x 41 cm.
— Why Don’t You, 2001. Toile, kaolin, peinture. 60 x 91 cm.
— Why Don’t You, 2001. Toile, kaolin, peinture. 31 x 31 cm.
— Why Don’t You, 2001. Toile, kaolin, peinture. 23 x 23 cm.

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