Présentation
Max Kozloff
Le Jeu du visage. Le portrait photographique depuis 1900
Le Jeu du visage retrace l’histoire de la photographie de portrait depuis 1900. Œuvre de l’un des éminents critiques internationaux, cet ouvrage livre une analyse et un point de vue inédits sur l’histoire de ce genre photographique en s’intéressant aux personnes situées tant derrière que devant l’objectif, ainsi qu’à la relation entre le photographe et son modèle, passionnante et propre à ce genre.
L’approche de l’auteur pour décrypter l’art du portrait est multiple. Il replace le genre dans son contexte historique, politique, économique et social. Il le met en perspective à travers les évolutions techniques du medium et les développements de ses moyens de diffusion. Max Kozloff s’attache également à souligner les dimensions philosophiques — les concepts d’identité et d’altérité — qui sont engagées dans les problématiques de la représentation du visage humain.
Abondamment illustré, l’ouvrage aborde un très vaste éventail de styles et de mouvements, depuis les pionniers (sir Benjamin Stone, Edward Sheriff Curtis) jusqu’aux photographes contemporains (Thomas Ruff, Philip-Lorca diCorcia) en passant par la révolution opérée par August Sander. L’ouvrage propose une lecture approfondie des enjeux du portrait jusqu’à la revisite du genre par les artistes qui se le sont approprié pour dépasser le jeu social limité dans le cadre, y superposer d’autres préoccupations et en faire ainsi l’outil d’interrogations plus vastes.
L’auteur
Max Kozloff compte parmi les plus éminents critiques de photographie actuels. Ancien directeur de la rédaction d’Artforum, il est aussi un auteur prolifique, notamment de la première monographie complète sur Jasper Johns, d’une célèbre collection d’essais intitulée Photography and Fascination ainsi que d’une histoire de la photographie de rue à New York qui a accompagné une exposition itinérante dont il a été le commissaire. Max Kozloff a enseigné dans divers établissements, telle la School of Visual Arts de New York. Sa propre pratique de la photographie nourrit sa passion pour le portrait et conforte sa conviction que ce genre occupe une place centrale dans la photographie.
Extrait de l’introduction
«Le visage a, entre autres fonctions, celle dambassadeur, et sa mission commence dès qu’il s’expose aux yeux du monde. Nous sommes des animaux prompts à dévisager, à scruter nos semblables, habitués et sans doute même programmés pour adapter les infinis scénarios de nos actes à leur physionomie, aux signes qu’on y détecte. Jonathan Miller résume fort bien les attributions du visage lorsqu’il écrit que « c’est à travers lui qu’on existe. C’est par lui qu’on embrasse, mange, respire, parle. Par lui qu’on regarde, écoute, sent. Par lui qu’on a pleinement conscience dêtre regardé. C’est lui qu’on cache dans les moments de honte, et c’est cette même face qu’on croit perdre lorsque l’honneur est sali ». Comme ces fonctions relèvent autant de l’organique que de l’émotionnel, il va sans dire que les visages sont des territoires qu’on ne finira jamais d’explorer. […]
Il faut savoir qu’un visage, même dans l’apparence du repos, reste actif. Nos traits ont la vivacité du mercure qui, libéré, semble céder à ses propres caprices. Impossible de dire quand une expression va jaillir ni si elle va s’épanouir, s’infléchir ou refluer aussitôt. Cet horizon d’inattendu pourrait nous désorienter s’il n’y avait pas le contexte social, cet ensemble singulier de préoccupations et de codes qui conditionnent le rapport entre regardeur et regardé. Car en plus du langage, tous deux communiquent à travers les yeux, ce qui module leur relation à mesure qu’elle se construit. Mais à partir d’un certain stade, ce lien peut se dénouer et faire perdre aux visages attention et stabilité. Ralph Waldo Emerson affirmait ainsi que ses invités pouvaient deviner l’heure rien qu’à regarder sa figure.
Je ne doute pas qu’un visage puisse inspirer dans le même instant des lectures justes et fausses. Dans la vie courante, ces instants s’entremêlent, traduisant une ambiguïté intrinsèque. Ailleurs, comme en peinture, l’instant est isolé (parmi tant dautres) dans un réseau d’indices ; en photographie, il est soustrait à son flux d’origine par un œil mécanique et arrêté sans ménagement. Dans les deux cas, la physionomie se trouve accentuée par une représentation où le spectateur anonyme contemple le passé depuis un contexte contemporain, différent. Cet ouvrage s’intéresse à ces moments figés en les illustrant de portraits photographiques réalisés depuis environ 1900 jusqu’à nos jours.»