D’après Roger de Wendover, Lady Godiva (ou Godgifu), sorte de Carlita de gauche ayant vécu en l’an 1000, obtint de son époux, le comte Léofric (au nom prédestiné !) la baisse de la pression fiscale sur les habitants de Coventry en échange d’un numéro de striptease à cheval qu’elle exécuta en public, un jour de marché, en plein centre-ville. La gente dame releva ce défi lancé par son conjoint et les paysans du coin, gentlemen, évitèrent autant que possible de mater la belle amazone, tous sauf un, un peu plus vicieux que les autres, Peeping Tom, lequel, par châtiment divin, devint aveugle illico presto — bien fait pour lui !
La pièce intitulée Le Jardin débute par la projection d’une DV tournée dans une boîte de nuit bruxelloise, réelle ou fantasmée, peu importe, qui accueille des personnages multi-culti, cosmopolites, aurait-on dit jadis, un peu freaks sur les bords : la naine Rika, et même un peu pervers, comme le vieux saligaud disciple de l’ogresque grotesque Dutroux, à qui la taulière livre, backroom, une agnelle innocente en pâture, des Noirs, qui dansent lascivement, tranquillement, sur des numéros musicaux allant du solo de harpe au morceau de reggae mou du genou, en passant par un blues de derrière les fagots, plus quelques micro-événements détaillés en long, en large et en travers par la caméra furtive de Franck Chartier et le montage narratif de Nico Leunen. On aura l’occasion de constater que ce prologue un peu longuet est, en fait, une bande-annonce des spectacles live à venir.
Premier opus d’une trilogie, Le Jardin est un petit chef d’œuvre. Le cadre n’est pas édénique, loin s’en faut. Le rideau ou plutôt l’écran de cinéma levé, on découvre sur scène quelques meubles plastiques pas plus rustiques que cela (une table, des chaises, un transat), un muret, côté jardin, si l’on peut dire, derrière lequel on jette toutes espèces d’ordures, sans se soucier ni du qu’en dira-t-on ni du tri sélectif, un carré de boulingrin, un tuyau d’arrosage, un parasol, une clôture en ciment friable ajourée de motifs en clé grecque…
Le décor de Pol Heyvaert n’a (mais c’est voulu !) ni le lustre ni la rigueur japonisante de celui, par exemple, de Mon Oncle de Tati. Ici, pas de sculpture pisciforme pour y déclencher un jet discontinu ou au moins un sourire entendu. On a affaire à un homme-fontaine, cracheur d’eau comme d’autres de feu. La jeune femme brune (au début du sketch) appuie sur le gros ventre du vieil angelot dénudé (Simon Versnel) pour obtenir des giclées à volonté. On se distrait avec des choses finalement assez simples au pays des buveurs de bière et des Manneken Pis.
Franck Chartier commence en douceur une série d’acrobaties qui deviendront de plus en plus virtuoses au cours du spectacle. Casse-cou téméraire, intrépide, à la manière du Vandekeybus des débuts, il contrôle parfaitement la chose, à savoir les chutes, les roulades en tous sens, que ce soit sur la tête, sur la nuque, sur les rotules, il multiplie les virevoltes, les décollages et atterrissages en vrille, il fait pivoter son corps sur un coude, bref, il n’a de cesse d’inventer de nouvelles positions, des pas de danse inédits, de repousser les limites entre l’envisageable et le faisable. Il verse au passage, dans les positions les plus inconfortables et invraisemblables, un godet de rosé à ses partenaires sans en renverser une goutte.
Simon Versnel se lance dans une tirade dans laquelle il semble regretter le bon vieux temps, celui des biens matériels et immatériels dont il a joui, ses plaisirs aussi bien hétéro que bisexuels… Il chante à l’occasion pour la galerie un air tiré des Noces de Figaro.
Gabriela Carrizo rappelle un peu la Kim Novak de Vertigo, et joue un rôle double, trouble, d’ex-vraie brune devenue fausse-blonde. Elle a un vocabulaire gestuel très étendu et passe, en fonction des besoins de la cause (ceux du récit), de la cascade circassienne à la variation néo-classique sur demi-pointes.
L’une renouvelle en finesse la danse féminine. L’autre attend Godot. Le troisième joue au Valentin-le-désossé. Le tout, façon postmoderne, il va sans dire.
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