Le Mac/Val vient d’ouvrir le deuxième volet de son exposition inaugurale intitulée «Episode 1» avec une vaste installation de Claude Lévêque. Le premier volet était consacré, rappelons-le, à Jacques Monory. Pour l’occasion celui-ci avait sélectionné une cinquantaine de ses tableaux disposés selon un parcours en forme de spirale nimbé d’un dégradé de bleu. Ce dispositif intitulé «Détour» immergeait le visiteur dans l’univers iconique du peintre tout en faisant ressortir ses principales veines fictionnelles et citationnelles.
L’installation de Claude Lévêque se déploie d’un seul tenant sur les 1350 m2 consacrés aux expositions temporaires. L’espace a été entièrement obscurci pour l’occasion. Les éléments sculptés se révèlent en blanc phosphorescent sous l’effet d’une lumière noire: au plafond, une série d’armatures de lits, renversées et régulièrement suspendues, sur un plan légèrement incliné; au sol, une série de larges vasques transparentes contenant des boules blanches qui font écho à d’autres, enfilées comme des perles ou les boules d’un boulier, sur les traverses des lits du plafond.
Les notes égrainées d’une boucle musicale à consonance asiatique (réalisée en collaboration avec Gerome Nox) viennent renforcer le caractère on ne peut plus onirique de l’ambiance. Le Grand sommeil nous plonge en fait dans un rêve éveillé.
Le rapprochement entre ces deux œuvres (conçu par Frank Lamy, chargé des expositions temporaires du musée), aussi inattendu qu’il puisse paraître, ne manque pas d’ambition ni d’intérêt. Il risque néanmoins de passer inaperçu du fait d’une présentation en deux temps qui revient au final à faire se succéder deux expositions, que rien n’oblige à confronter si ce n’est l’intitulé qui les réunit.
A défaut d’assister de visu aux effets parfaitement improbables d’une réelle cohabitation Lévêque/Monory, il nous faut concevoir à posteriori (ce qui ne revient pas au même) les liens qui unissent et opposent les deux œuvres, leur rapport à la fiction, la mémoire ou l’autobiographie, par exemple. Mais l’intention de cette rencontre différée mérite cependant d’être rappelée quand on sait à quel point le principe de réalité préside aux formes d’accomplissement de nos projets.
Dans l’actualité récente des expositions, il ne manque pas d’occasion pour apprécier à loisir les jeux de rapprochements d’œuvres, réunies sous le prétexte des thématiques les plus diverses qui vont du sursaut patriotique à l’analogie cosmologique. Autour de ce phénomène récurrent se discute légitimement le statut d’auteur ou d’artiste du concepteur / commissaire / curateur qui revendique de bon droit le caractère parfois subjectif de ses sélections.
Dans ce contexte, on observe également que les œuvres se trouvent, selon les dispositifs, plus ou moins respectées dans leur autonomie et leur indépendance. Il est vrai qu’elles ne sont pas exactement prédisposées à illustrer des thèmes ni à justifier quelque théorie ou argument que ce soit. L’exercice des expositions collectives est donc un exercice délicat où tout se joue dans l’équilibre entre l’œuvre mise au service de l’exposition et l’exposition mise au service de l’œuvre, quelques soient les stratégies adoptées.
Quand il n’est pas justifié par une filiation historique (type Cézanne / Picasso), le choix d’un rapprochement entre deux œuvres seulement (type Monory / Lévêque) est plus risqué et donc plus excitant. Le prétexte thématique dans ce cas de figure n’a plus cours, le vis-à -vis des deux œuvres devient incontournable puisque revendiqué.
A une échelle plus relative mais non moins cruciale, le problème est le même dans un musée, lorsque deux œuvres de deux artistes sont simplement présentées l’une à côté de l’autre. Le caractère évènementiel de l’exposition temporaire et les moyens qui lui sont attachés, permettent de focaliser l’attention, pour un temps donné, sur cette mise en rapport qui met en question.
Dans le cas d’artistes vivants invités à concevoir leurs œuvres pour l’occasion, les trois partis concernés (le commissaire et les deux artistes) ne peuvent alors échapper à une phase de réelle concertation. La partie devient serrée, trop serrée peut-être au point de provoquer l’abandon d’un des joueurs. Mais le jeu en vaut la chandelle.
Souhaitons qu’à l’avenir, cette programmation par expositions couplées s’affirme dans une simultanéité des présentations. Et compte tenu du caractère inattendu de la première, on se réjouit à l’avance des rencontres à venir.
Notons pour finir, que les deux artistes sont des artistes de la collection permanente et qu’ils ont eu carte blanche, dans les deux cas, pour concevoir la scénographie de leur œuvre.
L’exposition Monory, qui se défendait bien d’être une rétrospective, a permis sans nul doute de faire découvrir ou redécouvrir une œuvre, précisément à travers les yeux du peintre, et de ce point de vue au moins, l’opération fut très réussie. Enfin, la proposition actuelle de Claude Lévêque, aussi spectaculaire soit-elle, fonctionne sur un registre différent de celui auquel l’artiste nous a habitué, moins dérangeant sans doute. Le risque, c’est de voir la mièvrerie dépasser la rêverie.
Pour comparaison, rappelons que deux autres installations imposantes de l’artiste sont également visibles à Paris, dans «La Force de l’art» au Grand Palais et «Le Mouvement des images» au Centre Georges Pompidou.
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross
— Le Grand sommeil, 2006. Installation.