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Le Goût du mercure

08 Sep - 06 Oct 2012
Vernissage le 08 Sep 2012

Les pièces d'Elisa Pône, composées d’un feuilletage explosif de plaques de verre entrelardées de mèche noire et de mercure, ont notamment fait l’objet d’abrasions, d’impacts et de forages multiples. Leur structure stratifiée témoigne d’une mémoire étagée, qui s’est en partie cristallisée, en partie absentée.

Elisa Pône
Le Goût du Mercure

Elisa Pône présente À la fuite, une trilogie vidéographique. Certaines fêtes semblent d’autant plus vaines qu’elles sont grandioses. Aussi, des feux d’artifices qu’Elisa Pône tire parfois dans des endroits contre-indiqués sous un pont ou dans une voiture, il ressort souvent un émerveillement contrarié, dépité par le risque et la gratuité d’un spectacle bref et démesuré. La beauté amère d’un temps que les artificiers font partir en fumée. Le film La couleur ne brûle pas et les diptyques d’Indeterminate activity and resultant masses rendent comptent de ces exubérances pyrotechniques. Le premier enregistre les incandescences rouges et vertes d’une roue maltaise, fabriquée et testée nuitamment en collaboration avec Stéphane Thidet: censées tourner sur elles-mêmes, les huit flèches de la structure consument des feux qui brûlent à leur tour la pellicule super 8. La couleur est prise dans le film.

La seconde œuvre associe deux par deux des images aux sources multiples, joignant l’attraction du désastre à celle de l’amusement, en rapprochant vues d’incendies et réclames pyrotechniques. Hachés par la découpe des collages et sabrés par la brisure du verre d’encadrement, les pendants s’assemblent dans la fracture.

Il n’y a pas d’âge pour goûter aux ombrages du désœuvrement. Dans les trois films d’À la fuite, l’ennui guette la jeunesse autant qu’il éreinte les vieux jours. Conçue en triptyque, l’œuvre montre une jeune femme, un vieil homme et deux adolescents, sans évoquer la succession éculée des trois âges. Car c’est de fuite et non de suite dont il est question; les trois films ont d’ailleurs déjà été montrés en mode simultané et aléatoire. Reste à déterminer si par fuite il faut entendre fugue — les trois personnages suivent certes un mouvement — ou flux — l’écoulement du temps leur échappe néanmoins.

Assise dans une voiture en marche, la fille laisse se consumer sa cigarette par la vitre ouverte, hâtant sa consumation par l’attisement de l’air (a cigarette with God). Sans but apparent, l’homme sillonne la lande irlandaise, obéissant au parcours erratique d’une inquiétude sans objet (le meneur de lune). Enfin, à deux sur un scooter, les jeunes improvisent une voltige chahutée (fermer les yeux, sauver sa peau). Si la cigarette saisie par un plan séquence continu semble le sablier d’un temps linéaire, le tangage du deux-roues capturé par une alternance de plans coupés et de plans manquants traduirait plutôt une temporalité «déboîtée», voilée comme une roue désaxée. La discontinuité croissante des trois montages suit la montée d’une impatience muette face à l’increvable ennui, une usure lasse qui prend le néant à son propre jeu: de la fuite dans les idées.

Des difficultés à concentrer son attention et ses idées témoignent d’une forme d’asthénie, triste mélange de fatigue intellectuelle et de mémoire paresseuse. Les symptômes de cette apathie trahissent parfois une intoxication au mercure, dont le titre de l’exposition suggère justement l’ingestion. Mais «Le goût du mercure» peut tout aussi bien évoquer l’empoisonnement passif qu’une accoutumance à l’amnésie que le vif-argent procure. Dans son poème Le goût du néant, Baudelaire implore bien que l’avalanche du temps l’emporte dans sa chute, car son «cœur sombre et boudeur» a perdu le goût de l’amour et de la dispute. Le poète souscrit au tempérament mercurien, changeant, nerveux et mélancolique.

Hélène Meisel, juillet 2012

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