Erik Bullot, Silvia Maglioni, Graeme Thomson
Le film et son double. Du film performatif. Séance #1
Les Laboratoires d’Aubervilliers, en partenariat avec pointligneplan, invitent Erik Bullot à programmer un cycle de rencontres et de débats publics autour d’un tournant remarquable que l’on peut observer aujourd’hui, celui du «film performatif», pratique à la croisée de ces deux pratiques. Film où l’artiste/cinéaste substitue la performance à l’image, l’énoncé au film, exposant le processus de construction plutôt que son résultat — le faisant advenir au moment où il le raconte, répondant au critère de la signification linguistique de «l’énoncé performatif».
Chaque séance est l’occasion de programmer une double performance en croisant la parole d’artistes et de théoriciens en vue de tester la validité de l’hypothèse.
Cette première séance réunit Erik Bullot, proposant une variation autour d’un film secret, Traité d’optique, soumis à une nouvelle activation par la parole, et Graeme Thomson et Silvia Maglioni qui, dans le sillage de leurs recherches sur la matière noire du cinéma, envisageront l’ombre auditive d’un film caché sous le jeu des sous-titres. Autant de manières d’interroger la dimension spectrale du cinéma à travers l’activation de ses doubles.
Peut-on faire un film avec des mots? On observe actuellement dans le champ du cinéma expérimental et de l’art contemporain de nombreuses pratiques filmiques qui tentent de remplacer le film par son simple énoncé sous la forme de conférences illustrées, de lectures ou de performances. Des fragments d’un film à venir (photographies, documents, fragments de scénario) sont présentés en guise du film lui-même. On ne peut qu’être frappé par ce tournant performatif.
Précisons tout de suite que le terme performatif emporte avec lui deux significations: l’une, proprement linguistique, selon les critères proposés par Austin, relative aux verbes performatifs qui réalisent une action par le fait de leur énonciation, à l’instar des verbes baptiser ou promettre, la seconde relevant du champ plus général de la performance artistique. On assiste aujourd’hui chez certains artistes ou cinéastes à une pratique performative du cinéma à la jointure de ces deux significations. Il est d’ailleurs difficile de totalement séparer ces deux significations: la performance, au sens artistique, emporte souvent une dimension performative, au sens linguistique.
Exposer le film à la manière d’une proposition ou d’un énoncé relève-t-il du performatif? Exposer est-il un verbe performatif? Déplacé de la salle au musée, dissocié de son dispositif originel, soumis à de nouvelles configurations techniques, le film doit-il être désormais performé pour advenir? Qu’en est-il de ce tournant performatif du cinéma? Participe-t-il du seul courant linguistique? Rencontre-t-il un déplacement du cinéma lui-même vers le spectacle vivant? On peut en effet observer à travers ces différentes actions le retour du bonimenteur du cinéma des premiers temps qui commentait et racontait le film pendant la projection, le rappel des instructions données au projectionniste ou la simple continuité de certaines propositions du cinéma élargi (expanded cinema) pour échapper au cadre strict de la séance. Le recours fréquent au terme performatif devenu désormais un adjectif régulièrement associé à la conférence dans le champ de l’art contemporain est assez symptomatique. Pourquoi rencontre-t-il un tel succès?
Tels sont quelques-uns des enjeux de ce programme de rencontres et d’événements, invitant des artistes, des cinéastes et des théoriciens en vue de cartographier ces nouvelles pratiques.