Philippe Mayaux
Le destin des fantômes
Lecteur du naturaliste Magritte dans sa jeunesse, Félix Archimède Mayaux entame des études de droit qui bifurquent, semble-t-il, en sciences anatomiques. Il faut savoir que la soupape établie au col du trou de chute était de caoutchouc mince, ce qui n’exclut pas, pour lui, d’avoir à cœur de résoudre audacieusement, à sa manière, un véritable problème de philosophie politique appliquée. En général, c’est en tronçonnant qu’on y arrive d’ailleurs. Le monde actuel est si finement découpé qu’on peut aisément, outre se faufiler au travers avec plaisir, l’embrocher ici ou là en lamelles et fibrilles, ce qui fait la joie des scientifiques que nous sommes, chacun dans son labo et à notre échelle de recherche.
Ainsi, le jour idoine de la soutenance, ledit Félix Archimède en question trompeta, au mp3, en effet dans une baudruche blanchie. Cette paraffine copieusement étalée sur divers organes qui avaient eu la délicatesse de se laisser modeler/mouler, mus par leur élan physiognomonique, suscita d’abord le doute, reconnaissons-le, des divers membres réunis du jury, leurs visages légèrement crispés. Chacun soclé dans son attitude prédicative, dictatoriale, professorale ou mercantile, s’écoutait sereinement parler en boucle tel un disque d’admiration sataniste.
Puis comprenant rapidement que manu militari intuitu ils risquaient fort, en tant que molécules prébiotiques dans l’océan sans vie, de se retrouver recomposés aussi sec, ces idéaux-types optèrent pour une métamorphose unicellulaire primitive, donnant raison à certaines prémisses du raisonnement maïeuticien. Philippe Mayaux apporte sa pierre de touche renouvelée, mais en vrai silicone, à la vieillissime théorie obsolète – et par là bien utile – de la génération spontanée.
En effet, les petits animaux artistiques, on le sait, naissent d’un tas de chiffons, de l’air ambiant extérieur et les feuilles de l’arbre tombent au sol, se transforment en oiseaux, de même qu’elles accouchent au fil de l’eau des poissons ou des idoles, lesquels sont amphibies et flottent aussi, quand ce ne sont pas les asticots qui sortent joliment d’un morceau de viande appétissant, d’un foie de veau trop rosé. Les microbes font levure et l’expérimentateur a plaisir à tripoter ses hypothèses internes, conscientes et très conscientes, rendant bien pénible le travail de qui voudra alors par la suite les reproduire avec l’esprit de sérieux nécessaire à la perpétuation scientifique dans l’âme.
Les théories et pratiques s’agglutinent et, fatalitas, ces mêmes arts majeurs miniaturisés, peinture d’histoire mais sculptée dans le gruyère, tutti frutti aux alentours et au format Voyage Fantastique à la Richard Fleischer en pleine Guerre Froide réenactée par le Printemps arabe s’inversent. C’est que statistiquement ces mêmes propriétés artistiques qui ne devraient plus y être s’incrustent, font mémoire de l’eau (dont le boom médiatique à la fin des années 80 correspond à celle d’une génération fourbissant ses armes à la Villa Arson, autre source jaillissante).
Magnifique ou néfaste baliverne dont Félix Archimède extrait et injecte à la Jurassic Park de sa petite personne l’ambre intime dont à coup de judicieuses piqûres de moustique il nous démontre.
Ainsi en va-t-il de la disputatio du fossile en art qui perdure dans nos sociétés où l’air raréfié heureusement ne manque jamais. Est-il une escroquerie, une controverse, la dernière encore possible, un carottage insertif et réceptif à la fois qui ferait le bonheur assuré du regardeur et de sa légitime paresse? Est-il inclus, exclu, résonnant? Excavé, souterrain comme une
énergie, ressurgit-il alors quoi qu’on touche, assemble, colle, ajoute?
Tout n’est-il que trace, contact, dent de civilisation, coque d’uréthane extrudé en souvenir ou de blister à propension cancérigène et autre phtalate comme celui qui entoure le Nutella et finit par creuser dans la nature sa roche sédimentée? Ici le fossile mâle s’alliant comme il se doit au faux-cil, à l’ombre martelée du symbole, nous oblige à réexaminer la calcite de nos techniques toujours plus heureuses de compilation et intrusion. Le germe rance était bien là , mais ne fait-il pas poison aussi ? Et Philippe Mayaux de nous contraindre à contempler le lombric priapulien dans la pomme à générescence surréaliste tout en parvenant à dégager la pulpe de la peau de banane sans en avaler le pépin. Ni problème ni scrupule, car l’art, quelle que soit la brièveté des liaisons qu’il fricote, retient dans ses réseaux ordonnés de molécules une nanoseconde de fraction, tandis que, merveilleusement étranges, ses objets durent, durent, durent (ou bien mous, mous, mous).
critique
Le destin des fantômes