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Le Degré zéro de l’espace

Elles n’ont pas peur du gigantisme et de la dérision. Les six installations de Shen Yuan, à la galerie Kamel Mennour, ont ce point commun, d’allier un certain comique de situation à un sujet douloureux. Le tout dans des tailles disproportionnées. Du thermomètre géant dans lequel divague un poisson rouge, aux nombreux sèche-cheveux suspendus au plafond s’allumant dans un ordre aléatoire et faisant s’étirer par leur souffle des langues de belle-mère.

Après la répression du mouvement démocratique de juin 1989 place Tiananmen, Shen Yuan connaît l’exil et la nécessité de s’acclimater à une autre culture, à d’autres modes de communication. Et le terme même d’acclimatation prend tout son sens dans ces œuvres alliant matériaux bruts et éphémères ou encore organismes vivants, sensations de froid ou de chaleur.

En ouverture de l’exposition Shen Yuan a réalisé une performance se rapportant à cette notion de barrière de la langue et d’intégration, d’acclimatation difficile, voireimprobable.
Isolée dans une salle de la galerie dont les ouvertures sont obstruées par deux énormes pains de glace, l’artiste coud lentement, pendant plusieurs heures des mots sur une épaisse couverture. Les sons de l’extérieur résonnent comme autant de mots incompréhensibles, et, pour les visiteurs, c’est l’interrogation et l’étrangeté de cette silhouette qu’ils devinent à travers la glace qui fond doucement.

Dans chacune de ses œuvres Shen Yuan pose un regard critique et dénonciateur sur cette culture et ce système dont elle est issue et irrémédiablement empreinte. Elle détourne sa propre culture et, sans la renier, l’expose tout en la jugeant.

Des petites ballerines, véritables objets de torture pour les femmes chinoises, qui sillonnent une des salle de la galerie pour inscrire cette phrase : Elles sont parties, mais n’ont nulle part où aller, au Ventre de pierre sculpté, représentant le désastre de la construction du Barrage des Trois Gorges, tout fait écho à l’exil et au doute, à la perte de ses repères et de ses racines, à l’absurdité d’une culture de masse.
Dans chacune, cette même finesse et cette même poésie, ces éléments naturels et ces couleurs vives. Tout chez Shen Yuan séduit, ou amuse, jusqu’à ces clichés de son village natal transformé aujourd’hui en décharge.
L’artiste s’engage et prend ainsi sa liberté à travers une œuvre poétique et surprenante, qui ne manque pas de susciter la curiosité du spectateur face à ces installations grands formats.

Shen Yuan
— Poïkilotherme, 2008. Installation : thermomètre en verre de Murano, eau et carpe koï. 302 x 18 x 22 cm
— Le Ventre de pierre, 2008. Rocher sculpté, eau et poissons. 200 x 165 x 60 cm
— Errance immortelle, 2008. Argile rouge, matériaux de récupération, photos imprimées sur bâche plastique. 200 x 700 x 200 cm
— Paroles brèves, 2008. Installation : 80 sèche-cheveux et tissus. Dimensions variables
— Uncomfortable shoes (Elles sont parties pourtant elles n’ont nulle part où aller), 2008. Installation : chaussures chinoises. Dimensions variables.

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