Shen Yuan
Le degré zéro de l’espace
Kamel Mennour est heureux de présenter « Le degré zéro de l’espace », la première exposition de Shen Yuan à la galerie.
Shen Yuan est née en 1959 en République Populaire de Chine, dans la province méridionale du Fujian. Diplômée de l’Académie des Beaux-arts du Zhejiang, elle enseigne à L’École Normale de Fujian.
La décennie 1979-1989 est propice aux découvertes artistiques. Shen Yuan se lance dans la création d’ »installations » au pouvoir évocateur d’un malaise, d’une revendication non seulement sociale, mais morale.
Début 1989, « l’Exposition d’art contemporain chinois » est inaugurée à la Galerie nationale des beaux-arts de Pékin, première d’une telle envergure. Shen Yuan y expose, aux côtés de 184 autres artistes d’avant-garde.
Après la répression du mouvement démocratique de juin 1989 place Tienanmen, Shen Yuan décide de rejoindre son mari, Huang Yongping, à Paris. Désormais, sa création sera emprunte de cette expérience de l’exil et de la difficulté de l’intégration.
Depuis 1990, Shen Yuan vit à Paris. Son oeuvre d’artiste la fait voyager à travers le monde entier et lui a amené une reconnaissance internationale. Lors de l’exposition historique de Pékin en 1989, Shen Yuan avait exposé un lit de fer très simple, de ceux que les ouvriers amènent sur les chantiers pour dormir la nuit. Sur ce lit était posé un matelas en plastique transparent empli d’eau où nageaient des poissons. Cette oeuvre était emblématique de la période de liberté sous surveillance que connaissait alors la Chine.
Quatre ans après le début de son exil, elle expose à Paris l’une de ses oeuvres les plus puissantes « Perdre sa salive »: des grosses langues de glace installées dans une cave fondent peu à peu, laissant apparaître leur ossature – des couteaux braqués vers le spectateur. Shen Yuan avoue avoir beaucoup souffert de la barrière de la langue à son arrivée en France. Cette langue, membre faible, mou, gustatif, qui s’épuise à parler et perd sa salive, peut aussi être une arme, violente, agressive.
Les installations de Shen Yuan conservent cet aspect subversif et dénonciateur, avec un côté kitch, joueur, malicieux. Le spectateur s’amuse autant qu’il s’interroge.
Art contemporain chinois ? L’adjectif de nationalité menace de réduire la portée universelle d’une oeuvre qui s’adresse avant tout à notre époque plus qu’à un pays précis. D’autant plus que Shen Yuan a choisi d’intituler l’exposition qu’elle donne à la Galerie Kamel Mennour « Le degré zéro de l’espace ».
« Tabula rasa à la ground zero » et choc thermique de l’être humain qui éprouve des difficultés à s’acclimater, dans tous les sens du terme: cette exposition propose trois installations de grande taille, plus une performance de l’artiste elle-même qui aura lieu lors du vernissage. Cette performance serait-elle un écho au body art de Gina Pane s’entaillant pour « s’ouvrir » aux autres? Ou bien à Alfred Jarry entrant à la Closerie des Lilas et tirant un coup de pistolet dans un grand miroir pour « briser la glace »?
Il ne faut pas trop en dire. La discrétion de Shen Yuan n’est peut-être qu’une facette de sa personnalité secrète… Quant aux trois autres oeuvres, elles prolongent une réflexion sur l’ « être au monde » initiée par Shen Yuan depuis ses débuts : nous retrouverons les langues, mais cette fois-ci l’agressivité ne prendra pas la forme de couteaux mais de courants d’air chaud; et les poissons du « lit-eau » de 1989 reviendront, cette fois-ci dans un thermomètre géant interrogeant la capacité de l’homme à s’adapter à son milieu.
Enfin, dans la cour pavée de la galerie sera installé un « ventre de pierre » au sein duquel est sculpté le Barrage des Trois-Gorges, désastre écologique, humain et culturel que le cinéaste Jia Zhangke avait déjà dénoncé en un film, « Still Life », récompensé du Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2006.
Shen Yuan continue, forte d’un esprit créateur puissamment personnel, à l’écart des excès mercantiles d’un certain art contemporain chinois, à interroger notre monde avec une malice lucide qui n’est pas sans faire penser à l’apologue de Zhuangzi (4ème siècle Av. J.-C.): « Zhuang Zi et le logicien Hui Zi se promenaient sur le pont de la rivière Hao. Zhuang Zi observa: « Voyez les petits poissons qui frétillent, agiles et libres ; comme ils sont heureux ! » Hui Zi objecta: « Vous n’êtes pas un poisson ; d’où tenez-vous que les poissons sont heureux ? – Vous n’êtes pas moi, comment pouvez-vous savoir ce que je sais du bonheur des poissons ? – Je vous accorde que je ne suis pas vous et, dès lors, ne puis savoir ce que vous savez. Mais comme vous n’êtes pas un poisson, vous ne pouvez savoir si les poissons sont heureux. – Reprenons les choses par le commencement, rétorqua Zhuang Zi, quand vous m’avez demandé « d’où tenez-vous que les poissons sont heureux » la forme même de votre question impliquait que vous saviez que je le sais. Mais maintenant, si vous voulez savoir d’où je le sais – eh bien, je le sais du haut du pont… »
Le travail de Shen Yuan a été présenté dans le cadre d’expositions collectives au Musée d’art moderne de la ville de Paris (2000), à la Villa Arson (2004), au Musée d’art contemporain de Lyon (2004), à la La force de l’Art (2006), à la Biennale de Gwangju (2006) ainsi qu’à la fondation Ullens (2007).
Shen Yuan fut également l’une des 4 artistes invitées au Pavillon Chinois lors de la 52ème Biennale de Venise en 2007.
Shen Yuan « Le degré zéro de l’espace » est présentée à la Galerie Kamel Mennour du mardi au samedi, de 11h à 19h.
critique
Le Degré zéro de l’espace