ART | CRITIQUE

Le corps d’un jardin

PFrançois Salmeron
@12 Juin 2013

«Le corps d’un Jardin» réactive notre rapport existentiel et charnel au monde environnant. Giuseppe Penone nous invite ainsi à renouer contact avec des éléments ou des fragments de la nature. Arbres, plantes, branches, feuilles, épines… chacun dessine alors non seulement une relation spécifique avec notre être, mais entre également en écho avec lui.

Figure éminente de l’Arte Povera italien, Giuseppe Penone présente, lors de l’exposition « Le corps d’un jardin », des sculptures interrogeant le rapport qu’entretient notre corps avec la nature et les éléments terrestres, tandis que le Château de Versailles accueillera une vingtaine de ses Å“uvres à partir du 11 juin 2013.

Ainsi, comme le suggère le titre de l’exposition, «Le corps d’un jardin», il s’agit de réactiver une relation charnelle avec la nature, et de voir comment un lien étroit peut s’établir entre notre être même et une parcelle du monde.
En ce sens, Gesto vegetale présente une plante empotée, dont une sorte d’écorce de bronze, se déployant comme une immense pelure d’orange autour d’elle, l’enrobe et la protège voluptueusement. Le déploiement du végétal s’accompagne donc d’un geste sculptural qui semble suivre la croissance de la plante et la choyer.

Albero e gesto allie quant à lui une branche qui se déploie jusqu’au plafond de la galerie, avec un demi-cercle de métal dans laquelle il vient se fondre. Le tranchant de l’objet métallique fend la surface de la branche, imbriquant en une même sculpture l’ordre naturel et l’ordre artificiel de la «techné» humaine.

Dans la grande salle de la galerie, nous retrouvons deux sculptures imposantes, reposant toutes deux sur un assemblage de branches de bronze. Tra… représente ainsi un grand tronc d’arbre à l’horizontale, brisé en deux parties. L’originalité de Tra… consiste alors à inverser le rapport entre le tronc et ses branches, puisque désormais ce sont celles-ci qui soutiennent celui-là, tout en montrant le lien indéfectible qui les unit.
Par là, les deux immenses troncs apparaissent comme deux tombeaux soulevés par les bras des endeuillés, lors d’un cortège funèbre. Les troncs sont d’ailleurs réalisés en bronze qui, suite à une oxydation, a épousé la couleur même du végétal, alors que la cassure a été recouverte d’une couche dorée, brillant ainsi d’un bel éclat. La dorure se fait le pendant du lugubre et du funéraire, soulignant que toute forme de vie abrite en elle-même une lumière, un souffle, comme le tronc qui, quoique brisé, reste traversé par la sève.

La deuxième sculpture, Ombra di terra tisse un lien intime entre la matière et la peau humaine, la peau étant notre surface de contact avec tout objet, la frontière entre notre personne et son intériorité, et le monde externe. Un cône de terre cuite divisé en trois blocs suit la structure d’une empreinte digitale, alors que les œuvres présentées au sous-sol de la galerie prolongent cette même problématique.

En effet, 16 pagine présente diverses espèces de feuilles mises en regard avec des empreintes de mains ou de doigts, illustrant en ceci leur isomorphisme, tandis que Spine d’acacia-palmo reproduit les lignes d’une paume de main à partir d’épines d’acacia collées à la surface d’une toile recouverte de soie. Nous renvoyant vers nos propres souffrances, vers les blessures que nous inflige le cours de nos existences, à l’image de la couronne du Christ, les épines dessinent un rapport douloureux au monde.
Ici, la matière et le geste humain ne sont plus forcément en osmose, l’un ne protège plus l’autre, ils n’épousent plus le même mouvement, et n’abritent plus le même souffle de vie ou le même éclat lumineux en leur cœur. La peau se pique ici aux épines et saigne à son contact. La blessure y laisse alors une empreinte, une marque, altérant notre sensibilité.

Pelle di foglie nous permet toutefois de renouer un rapport harmonieux avec la nature, dont les branchages de bronze terminés par des feuilles dessinent des courbes élancées, gracieuses, aériennes. Dès lors, on pourrait se demander si l’art imite la nature dans l’œuvre de Giuseppe Penone. Mais plutôt que de la penser comme un modèle, et de considérer que l’œuvre n’en serait qu’une reproduction imparfaite, Giuseppe Penone semble nous suggérer que l’art fait partie intégrante de la nature, au même titre que l’homme.

 

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