Oriol Nogues
Le conteur
L’époque est au flux d’images incessant. La télévision et surtout internet assurent, il y avait déjà le gaz, l’eau et l’électricité, des images à tous les étages. Et comme l’électricité éloigne de nos maisons le noir et ses wagons de peurs et d’inquiétudes, les images qui coulent de nos écrans multiples nous éloignent de la réalité des choses montrées et de leur langage.
Oriol Nogues choisit sur le web des images en mouvement qui nous apparaissent d’abord comme les métaphores de cette insaisissabilité, de cette fluidité des images, de l’accélération de leur diffusion, de leur ubiquité contagieuse et monstrueuse. L’eau, la circulation automobile, l’oiseau qui vole sont comme les symboles d’un mouvement perpétuel que l’on voudrait croire synonyme de liberté. Mais l’oiseau est en cage, l’eau dans sa fontaine et la voiture dans ses glissières…
Sensible à la charge émotionnelle contenue dans les motifs récurrents d’une société, à ses épiphénomènes, l’artiste a sélectionné dans ce flot intarissable d’images, des extraits banals pris dans le vif du net, qu’il assemble et dont il coupe le son. Ils sont présentés comme des associations simplement formelles, comme «de simples échantillons de ce qui advient dans le monde»,(Walter Benjamin), sans aucun enchaînement logique. S’improvisant doubleur, il superpose à ses captures visuelles sa version sonore, maladroite et enfantine: il imite le murmure d’un ruisseau, le crépitement d’un feu de cheminée, le chant d’un oiseau en cage, des voitures qui se croisent…
Il s’improvise du même coup «conteur», car il parvient à nous faire regarder plus intensément ces images d’une banalité évidente. Il nous demande d’écouter, de prêter l’oreille aux bruits et bruissements de ces instants volés à la nature et à la vie des villes. Il nous donne même envie d’être capable de les imiter à notre tour et de faire la part des choses entre ce qui ré-ancre ou non, ces images dans un monde qui n’est ni technologique, ni artificiel, mais préexistant à l’homme. Par le biais de ce jeu de doublage, nous délaissons la monumentalité théâtrale et architecturale de la fontaine de Trévi pour nous concentrer sur le rideau d’eau primesautier qui coule sans arrêt, en oubliant même la présence humaine, ce troupeau de touristes affairés à prouver qu’ils ont passé de bonnes vacances romaines. Nous nous détournons rapidement de la mise en scène grandiloquente de jeux d’eau et de lumières, cette fantastique mascarade par trop affectée, oublieux de la liesse qu’elle suscite. Nous n’écoutons que distraitement l’imitation des vrombissements rapides des voitures, car nous voulons entendre chanter l’oiseau, gazouiller la rivière et ce que le vent nous susurre à l’oreille.
Comme dans ses précédentes vidéos Oriol Nogues ancre ses créations dans un univers qui n’est pas anthropocentré, l’homme s’il est présent sert de faire-valoir à la puissance magique, à la puissance mécanique et poétique de la nature. Ici la présence humaine est quasi inexistante, ou en ombre chinoise, pour mieux laisser parler les voix de ce vaste monde. Notre corps habite un héritage qui remonte à une époque où l’homme était à l’unisson avec «les pierres dans les entrailles de la terre et les planètes dans la voûte céleste» (Walter Benjamin), on était certes moins savants mais plus en harmonie avec les messages de la nature, les enseignements qu’elle prodigue, son babillage à la fois rassurant et inquiétant. Les mythologies qu’elle suscitait étaient essentielles et protectrices. L’histoire occidentale a renié «l’animal imageant qui est au centre de l’homme pensant»(Marie-José Mondzain). Et dans cette toute dernière vidéo, Oriol Nogues réintroduit dans un monde préhistorique, pré-humain, l’existence de l’image. La caméra a certes permis de capter, de révéler des images mobiles mais n’est pas contingente de leur existence, car le film comme concept existe avant d’être et comme le pensait Fernand Deligny: «Les images appartiennent peut-être au règne animal»(Marie-José Mondzain).
Stéphanie Cottin
Vernissage
Vendredi 9 décembre 2011