Angela Detanico et Rafael Lain, Peter Friedl, Nina Papaconstantinou, Eric Duyckaerts, Douglas Gordon, Dan Graham
Le ciel bientôt sera trop court
Dans une délicate incohérence, les œuvres présentées affirment une poétique de l’absurde et du non-sens, capturent des mots, des instants et des images et composent dans une temporalité floue une partition précise. «Le ciel bientôt sera trop court», ou le moment d’une réflexion différente sur ce qui nous entoure, de quelque chose qui fait s’épanouir une perception inédite de notre monde et entraîne un nouvel apprentissage de nos histoires.
Chacune des quatre compositions d’Angela Detanico et Rafael Lain superpose un extrait de texte en caractères romains, en rapport avec le Soleil, à un extrait de texte en caractères italiques, en rapport avec la Lune. Dans la continuité de leur précédente exposition personnelle, «Two Voices», les œuvres transposent dans le registre littéraire les moments de présence et d’absence du Soleil et de la Lune, chaque journée de l’année 2012. Les deux textes, semi-opaques, impriment ainsi sur un fragile papier japonais le souvenir de quatre journées de l’année, passées ou à venir, la rencontre du Soleil et de la Lune, la rencontre d’un auteur et d’un autre.
Dans The Children, Peter Friedl réalise un tableau vivant à partir de Sëmijët, peinture de 1966 du peintre socialiste-réaliste albanais Spiro Kristo: cinq enfants se baissent vers le dessin d’un fusil réalisé à la craie sur le bitume de la rue, tandis que deux d’entre eux portent déjà un fusil à l’épaule. De l’atmosphère inquiétante de l’œuvre originale et de l’idéologie qu’elle véhicule, Peter Friedl ne conserve que la composition, transposant la scène de rue dans une chambre d’un hôtel en ruines de Tirana, décoré dans le style du fascisme italien, sur les bruits de la rue en activité. Et lorsque l’une des fillettes entonne en albanais les seuls mots de la vidéo, «L’image doit sortir du cadre», elle révèle la dissolution de l’esthétique du peintre social-réaliste que produit la lente et poétique recomposition de l’image et du message politique, plan par plan, fragment par fragment.
Les lettres que Nina Papaconstantinou assemble de manière aléatoire dans un espace délimité donne au langage et à sa matière première une image. Landru évoque l’enfermement du criminel du début du XXe siècle dans sa cellule, à la fois physique et moral, prisonnier du langage qui causa sa perte. Déconstruit jusqu’au signe, le langage de Nina Papaconstantinou se condense et se dilate, capturant sur le mur l’accumulation de la pensée et l’impossibilité de communiquer.
Eric Duyckaerts livre avec Mémoire un pastiche de l’autorité du professeur, de son usage intempestif du grec ancien pour justifier son propos, de ses connivences et de ses sophismes. L’improvisation à l’œuvre dans la vidéo fait progressivement glisser les raisonnements logiques d’experts vers une logique du non-sens et de l’invraisemblable, à force d’étymologies douteuses et d’exemples incongrus. De l’anamnèse à la limace de mer Aplysia, d’Aristote à la mémoire de l’avenir, Eric Duyckaerts ouvre la transmission des connaissances à une dimension humoristique et poétique.
La vidéo de Douglas Gordon fait passer d’une écriture noire sur fond blanc à une écriture blanche sur fond noir A Moment’s Silence (For Someone Close To You). Le temps du recueillement et du souvenir, marqué par la lente transition d’une couleur à l’autre, ouvre ainsi le champ de la mémoire à ceux qui nous sont proches.
Et chaque soir à 19h, Rock My Religion de Dan Graham prend possession des lieux pour une unique projection du film historique de 1984. Cet assemblage hétéroclite de fragments de textes, de citations, d’images d’archives et d’enregistrements de concerts rend possible l’association de la Danse en Cercle des Shakers et du pogo punk, du messianisme au féminin à la canonisation des rocks stars, du dévot et du fan, de la ferveur des assemblées chrétiennes et de celle des salles de concerts